C’était il y a presque un an, en juin 2012, le Premier ministre britannique proclamait dérouler le tapis rouge aux entreprises françaises. Cette démonstration de force n’aurait pu être qu’un discours politique parmi tant d’autres. Néanmoins, ce fait d’actualité demeure le signe d’une réalité plus vaste encore.
Oui, Londres est un paradis fiscal. La City de Londres a été classée 5ème meilleur paradis fiscal dans le monde d’après le magazine Forbes en 2010, le 5ème principal paradis fiscal d’après TJN (Taxe Justice Network) en 2009 en se basant sur l’indice global de secret financier, et « le plus grand d’entre eux » si l’on prend en compte l’ensemble des services offerts, d’après le journaliste Stéphane Denis (secret bancaire, absence de taxes, statut de non-résidents, absence de réglementation).
Il n’existe pas de définition officielle de paradis fiscal mais en voici les critères généralement admis : Taxation faible ou nulle aux non-résidents, secret bancaire renforcé, secret professionnel défendu, procédure très rapide d’enregistrement des sociétés, liberté totale de mouvements des capitaux internationaux.
Une stratégie financière quasi traditionnelle
Si dès le 19ème siècle, les États américains offrent déjà des avantages spécifiques aux entreprises pour les attirer, celles-ci s’installent alors réellement sur ces territoires. Il faudra attendre le Royaume Uni des années 1920 pour que le principe d’un enregistrement fictif des entreprises pour des raisons fiscales voie le jour au niveau international. Cette possibilité offerte par la justice d’une séparation entre le lieu de production et le lieu de contrôle de décisions d’une même entreprise émerge en 1876 puis en 1906. Des décisions de justice relatives à des multinationales présentes dans plusieurs pays y affirment que le régime d’impôt est déterminé selon le lieu du centre de décision uniquement.
Finalement, c’est essentiellement à partir de 1957, pour retrouver sa splendeur économique d’avant-guerre, que Londres, ville très autonome par rapport aux reste de la Grande-Bretagne, use de telles techniques en ouvrant le chemin à la finance offshore contemporaine par la création du marché des eurodollars.
Une attractivité mondiale au centre de la mondialisation
Les eurodollars sont des dollars déposés et prêtés par les banques en dehors du territoire des États-Unis (et par extension toute devise déposée et prêtée hors de son territoire d’origine).
Dans notre cas, la Banque d’Angleterre permet d’exempter des transactions financières réalisées à Londres, entre deux non-résidents, dans une devise autre que la livre sterling, de tout contrôle réglementaire de sa part. Étant donné que ce marché va se développer en Angleterre, les autorités monétaires des autres pays ne pourront pas y exercer quelque contrôle que ce soit.
Notons au passage que le taux d’imposition des résidents au Royaume Unis reste important ; un principe commun des paradis fiscaux est justement que ces avantages soient accordés aux non-résidents uniquement. C’est pourquoi le Royaume Uni offre aux étrangers le statut fiscal privilégié de « non domiciliés » pour les étrangers.
Globalement, Londres se situe au cœur d’une galaxie de satellites étant eux-mêmes des paradis fiscaux. D’après l’économiste John Christensen, membre du « réseau pour la justice fiscale », il existe environ 60 paradis fiscaux, dont la moitié est issu de l’ex-empire britannique. Ces anciennes colonies sont directement liées à la city of London : elles sont régies par le droit anglais et surtout, elles ont recours aux banques anglaises dont beaucoup sont très présentes à Londres. « C’est cela qui vaut à Londres d’être à la fois la plus grande place financière et le plus grand paradis fiscal de la planète » souligne ce même économiste.
Pour comprendre ce rôle central, il faut savoir que l’argent à blanchir ou à exempter de toute taxe se déplace généralement par étapes. Comme le décrit le journaliste économique Nick Kochan, ces capitaux cherchent à brouiller toutes les pistes susceptibles d’indiquer l’origine de l’argent. Ce faisant, ces capitaux commencent par aller vers des juridictions de premières intentions (tel Chypre pour le cas de l’argent russe par exemple). Ce n’est qu’après, une fois les pistes définitivement brouillées, que l’argent réapparaît au grand jour sous sa façade la plus honorable. Londres, capitale économique de la finance, joue ce rôle de façade la plus honorable justement. Londres est effectivement un endroit attractif pour ceux qui manipule l’argent sale grâce à la croyance selon lequel elle est à la pointe et s’assigne au sceau de l’excellence ; elle fait office de la plus belle des vitrines.
Les paradis fiscaux : Un problème vaste et des solutions minces.
A de nombreux égards, les paradis fiscaux ont été pointés du doigt par les politiques, davantage encore suite à la crise.
Tout d’abord, bien que freinée par le Royaume-Uni et le Luxembourg, l’Europe a pris des mesures luttant contre les paradis fiscaux. Depuis juillet 2005, la directive épargne impose aux gouvernements de l’UE de fournir aux autres États des informations sur les placements des particuliers non-résidents. Par ailleurs, la Cour de justice des communautés européennes a établi dans les affaires Halifax (avril 2005) puis Cadbury Schweppes (mai 2006) qu’il était interdit de réaliser une transaction dans l’unique but d’en retirer un avantage fiscal. Enfin d’une manière générale, l’Union Européenne souhaite sans cesse imposer l’idée d’une harmonisation fiscale.
De plus, au niveau international, l’ONU a fondé un « Comité d’experts de la coopération internationale en matière fiscale » suite à la conférence de Monterrey sur le financement du développement en 2002.
Néanmoins, ces mesures n’ont généralement que peu d’effets réels sur la situation. Mettre en œuvre des mesures efficaces est logiquement un pari hardi car les paradis fiscaux sont éparpillés partout sur la planète et sont ainsi peu soumis à de telles réglementations. De même,comme l’indique Nick Kochan, les paradis fiscaux résiste aisément à ces attaques car les individus régulant notre économie sont souvent peu formés, sous-payés ; et justement, les meilleurs d’entre eux sont sous la pression du secteur privé qui souhaite les embaucher. A partir d’un certain niveau de compétence, une forte tendance est de rejoindre le secteur privé. Secteur privé qui utilise alors les connaissances du secteur public et des dispositifs anti-fraude de ces nouvelles recrues pour contourner ces mesures.
Début 2011, un éditorialiste prestigieux du quotidien The Guardian écrivait à propos des paradis fiscaux notamment: « Aujourd’hui, l’industrie de la finance n’est plus une perversion du système, elle est le système. ». Cette phrase démontre bien que Londres et les paradis fiscaux en général sont au cœur de la mondialisation malgré ce rôle parfois méconnu. Pour donner une idée, on peut reprendre une image de l’économiste John Christensen disant que si l’ensemble de ces paradis fiscaux étaient imposables, ces nouvelles recettes suffiraient à résoudre la crise financière. Mais on est bien loin de trouver de véritables solutions à ce système. D’ailleurs, le fait que la Grande Bretagne envisage de quitter l’Union Européenne ne favorise pas l’émergence d’accords internationaux s’imposant aux paradis fiscaux tels que Londres…
Yonathan Van der Voort
Pour en savoir plus :
-Documentaire « City de Londres, la finance en eaux troubles »
– « Les paradis fiscaux », de Christian Chavagneux et Ronen Palan
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