La Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, pionnière dans l’Europe de l’après-seconde guerre mondiale, joue toujours un rôle essentiel dans la veille et le conseil des pouvoirs publics. Sa mission est de garantir et de promouvoir le respect des droits de l’Homme. La présidente, Christine Lazerges, présente cette instance de l’ombre qui œuvre pour la dignité humaine.
Qu’est-ce que la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme ?
La CNCDH est une institution de la République, une autorité administrative indépendante dont la mission principale est une mission de veille pour le respect des droits de l’homme en France et sur le respect des engagements internationaux de la France en ce domaine.
Quand et par qui a-t-elle été créée ? A quel besoin cela répondait-il ?
La CNCDH a été créée par René Cassin, en 1947, au sein du ministère des affaires étrangères. A ce moment là, René Cassin lui-même participait à la rédaction de la déclaration universelle des droits de l’homme.
Elle fut conçue initialement comme un groupe de travail représentatif de la société civile, au sein duquel échangeaient des associations et des personnalités qualifiées.
A l’origine de sa création, après les horreurs commises par le régime nazi, se trouvait le souci de préserver au mieux le principe de dignité et les libertés des droits fondamentaux.
Existe-t-il des équivalents dans d’autres pays d’Europe ?
Oui. Pas dans tous les pays d’Europe, mais la plupart possède des commissions semblables. Cela dit, la France a joué un rôle pilote, car la CNCDH est la première institution de ce type en Europe.
La CNCDH préside également l’association des Institutions Nationales des Droits de l’Homme francophones ; elle est par ailleurs au bureau de la coordination internationale des associations du même type. Elle participe aussi à la coordination au niveau européen.
La France est aussi membre du comité d’accréditation par l’ONU des institutions nationales de protection des droits de l’Homme. Son poids dans les institutions de défense de droits de l’Homme à l’international est donc très conséquent.
Qui fait partie de la CNCDH ?
La CNCDH est indépendante de tout ministère. Le secrétariat général de conseillers et chargés de mission bénéficie de huit emplois. Le « petit parlement », qui se veut représentatif de la société civile, comporte trente représentants d’ONG et syndicats, et trente personnalités qualifiées. Parmi les associations, figurent notamment Action contre la faim, Amnesty international, SOS racisme… Au sein des personnalités qualifiées, on compte des représentants des grandes religions, des magistrats, des avocats, des philosophes…
Les membres sont-ils élus ou désignés ?
Ils sont proposés au premier ministre par une petite commission de hauts magistrats ; cette dernière veille à ce que les personnes suggérées soient au mieux représentatives de la société civile. Cependant, il est vrai qu’il n’y a pas d’élection, et que les membres sont nommés par le premier ministre. Malgré cela, l’institution reste politiquement pluraliste, les premiers ministres successifs y ont toujours veillé. Le critère de choix est l’intérêt d’une personnalité pour les droits de l’Homme, et non sa couleur politique.
Le renouvellement des membres a lieu tous les trois ans. Le président a un mandat de trois ans renouvelable une fois, et toute l’assemblée se voit également renouvelée. Pour les ONG et syndicats cependant, peu d’entre elles changent, deux ou trois peut-être si les représentants font preuve d’absentéisme. On peut aussi faire entrer de nouvelles associations, comme LGBT récemment. Les personnalités qualifiées, elles, changent pour moitié environ. Elles peuvent ne faire qu’un mandat, ou au contraire rester de nombreuses années à la CNCDH.
Quand êtes-vous arrivée à la présidence de la CNCDH, qu’est-ce qui, selon vous, a motivé votre désignation ?
J’ai été nommée fin août 2012, je suis donc arrivée dans les premiers jours de septembre 2012. Je ne faisais pas partie de la CNCDH avant. Je crois que le choix s’est porté sur moi pour mon métier de professeur d’université de droit pénal (à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ndlr), un champ scientifique où les droits de l’Homme sont continuellement présents. De par ma profession, j’avais été auditionnée à plusieurs reprises par la CNCDH. J’ai également été adjointe au maire de Montpellier, puis première vice-présidente de l’Assemblée Nationale en tant qu’élue parlementaire.
Je pense que c’est le panel de mes expériences théoriques et pratiques qui a conduit Jean-Marc Ayrault à me nommer.
Quelle est l’action concrète des membres de la CNCDH, comment et avec qui travaillent-ils ?
Les soixante-cinq membres, qui exercent au sein de la CNCDH un travail bénévole, sont répartis en cinq sous-commissions (Questions éthiques, société et éducation ; racisme et discriminations ; institutions, justice, police et questions migratoires ; questions européennes et internationales ; droit international et action humanitaire) qu’ils choisissent. Chaque sous-commission, soit sur saisine d’un ministre soit sur auto-saisine, prépare des avis sur les projets de loi en cours.
Dans l’autre sens, la CNCDH est très souvent auditionnée à l’Assemblée nationale et au Sénat sur les projets en cours. Nos avis sont transmis à tous les ministres intéressés par le projet en discussion. Ils sont également publiés au Journal Officiel. Ils sont donc relativement bien diffusés.
Par contre, notre instance est par nature souvent critique, et il serait présomptueux de dire que les avis sont toujours suivis… Nous éclairons le gouvernement et le parlement. Nous n’avons qu’un rôle de conseil.
Justement, peut-on parler d’un poids concret de la CNCDH ? S’est-elle déjà montrée très influente ?
Il faut savoir qu’il nous arrive aussi de conforter le gouvernement, et de l’encourager à poursuivre dans sa voie. Ce fut le cas pour le mariage pour tous : la CNCDH s’était prononcée en faveur du projet de loi. En revanche, nous avions attiré l’attention sur les difficultés qui pourraient surgir en matière de filiation, et nous avions demandé une réforme de l’adoption. Sur cette question, le ministre s’était beaucoup appuyé sur nos avis.
Un autre exemple : très récemment, la secrétaire d’État chargée du numérique, Axelle Lemaire, s’est rendue à la CNCDH pour que nous lui remettions un avis sur la lutte contre les discours de haine sur internet. Elle nous a exprimé combien cet avis était un instrument utile pour alimenter sa réflexion, et combien elle était en accord avec nos recommandations.
Et lorsque la CNCDH critique le gouvernement ?
Nous avions été très critiques sur le projet de loi qui a donné lieu à une loi du 15 novembre 2014 sur le renforcement de la lutte contre le terrorisme… Nous estimions que le texte actuel suffisait largement, mais notre avis n’a pas été suivi du tout.
Avec cette nouvelle loi, l’apologie du terrorisme non suivi d’effets est transférée dans le code pénal, alors qu’elle se trouvait inscrite dans la loi sur la presse de 1881. On a pu voir en janvier les effets pervers de cette disposition, qui a donné lieu à des condamnations absurdes et excessives ! Nous pensons à la CNCDH que les infractions de l’ordre de la parole doivent demeurer dans la loi sur la presse, et que ce sont les actes qui, eux, méritent un droit pénal dur.
Pour cette même raison, nous sommes critiques quant à la récente proposition de François Hollande (discours du 27 janvier au mémorial de la Shoah, ndlr) qui, appuyé par le CRIF, Conseil Représentatif des Institutions Juives en France, souhaite voir passer la notion d’insulte raciale dans le code pénal…
Pourquoi la CNCDH est-elle si peu connue du grand public ? Son rôle est-il de rester un veilleur anonyme, garant du respect des droits de l’Homme ?
Je pense qu’effectivement nous cherchons avant tout à être des chiens de garde des droits de l’Homme.
Il est néanmoins vrai que nous communiquons très mal ! Nous sommes une très petite équipe, le secrétariat général compte uniquement huitt personnes, le petit parlement quant à lui est composé de bénévoles… A l’international, la CNCDH est connue comme le loup blanc, mais à l’échelle nationale, il faut vraiment être un spécialiste des droits de l’Homme pour la connaître.
Ne souhaiteriez-vous pas vous faire connaître davantage ?
Si, bien sûr… Nous pouvons surtout espérer cibler un public d’étudiants en droit et d’avocats, de magistrats, des associations… La CNCDH est très connue à l’Assemblée nationale et au Sénat, notre visibilité progresse un peu dans les universités, mais pour le grand public, qui connaît encore mal les institutions de la République, c’est beaucoup plus difficile… Nous sommes une micro-institution.
Je lutte contre ce défaut de visibilité depuis trois ans, avec un succès très relatif. Mais les choses bougent : Axelle Lemaire est venue nous voir, c’était la première fois qu’un ministre se déplaçait dans nos locaux… Cet avis a été assez médiatisé, un grand article a notamment été écrit sur le site internet du Monde, plusieurs entretiens ont été fait sur les radios. Il faudrait que les médias s’intéressent davantage à nous, c’est un grand travail.
Où en sont les droits de l’Homme en France aujourd’hui ?
Robert Badinter dit de la France qu’elle n’est pas le pays des droits de l’Homme mais celui de la déclaration des droits de l’Homme. C’est un propos qui doit nous rendre très modestes.
Le commissaire du Conseil de l’Europe pour les Droits de l’Homme vient justement de remettre un rapport sur la France. Et il y a beaucoup de domaines précis où nous sommes mauvais… Nous sommes très mauvais en ce qui concerne les prisons, et l’atteinte au principe de dignité en milieu carcéral est la honte de la France. Sur ce problème, la recommandation de la CNCDH concerne les peines de moins de six mois : pourquoi ne pas les supprimer et proposer une solution alternative ? Cela participerait au désengorgement des maisons d’arrêt.
Nous sommes très mauvais sur la question des Roms, qui sont pourtant très peu nombreux sur le territoire français. Les progrès sont faits à pas de fourmi. Nous sommes mauvais en matière de droit d’asile, dans sa dimension humaine d’accompagnement, d’accueil… Le rapport juge également sévèrement la France sur le respect de l’accès au droit des handicapés. Pour l’éducation des enfants handicapés par exemple, et particulièrement autistes, la Belgique nous devance largement. Les discriminations sont encore très lourdes en France. Ces problèmes ne sont pas pris à bras le corps.
Y a-t-il tout-de-même des domaines où nous sommes exemplaires ?
En revanche, sur les libertés fondamentales, nous sommes bien meilleurs que dans d’autres pays, et faisons encore figure d’exemple. Je pense à la liberté de manifestation, d’expression…
Mais je ne vais certainement pas me lancer dans un tableau d’honneur des droits de l’Homme en France. Ce que je veux rappeler, surtout, c’est que le respect des droits de l’Homme n’est jamais acquis. C’est à reconstruire au quotidien. En France comme ailleurs : aucun pays ne peut prétendre être un exemple en la matière.
Nous avons pour ainsi dire atteint, en France et en Europe, un seuil qu’il est difficile de dépasser. Car évidemment la conscience du respect de la dignité humaine est plus éveillée aujourd’hui qu’il y a deux siècles. Mais à présent, on piétine. Les progrès deviennent plus compliqués à réaliser.
Quelles vont être les suites des actes terroristes de janvier concernant les droits de l’Homme en France ?
Actuellement, nous assistons à un mouvement absolument paradoxal. Un journal a été décimé et c’est la liberté d’expression qui en prend un coup ! C’est la conséquence de la loi du 15 novembre 2014, et de la volonté du gouvernement de faire sortir l’insulte raciale de la loi sur la presse bien que ce soit déjà une infraction pénale. Des milliers de Français ont défilé pour soutenir la tragédie de Charlie Hebdo, et beaucoup d’entre eux sont en accord avec cette proposition de loi, qui pourrait mener à des condamnations massives pour des insultes.
De même, la notion de laïcité devient controversée, étriquée : certains discutent de l’extension de l’interdiction du port de symboles religieux à de nombreuses sphères… Personnellement, je ne suis pas contre le port du voile à l’université, par exemple. Mais ces questions divisent, de plus en plus, et particulièrement après les événements de janvier.
Liberté d’expression, laïcité : il s’agit d’un ensemble de nouveaux défis pour la protection des droits de l’Homme. Il nous faut être cohérents et toujours plus vigilants.
Roxane DUBOZ