Laurent Cantet raconte l’histoire de Foxfire, un gang de filles qui se venge des hommes, un film surprenant et bouleversant.
Après Entre les murs (2008), Laurent Cantet réussit de nouveau le pari d’adapter un roman au cinéma. De retour dans le monde de l’adolescence, il change d’époque et de continent. Années cinquante, États-Unis. Le quartier est toujours populaire, les jeunes livrés à eux-mêmes. Seuls les murs changent. Ce ne sont plus ceux d’une salle de classe, mais d’une société misogyne et machiste, où les femmes n’ont d’autre choix que de subir les faiblesses d’hommes qu’elles n’ont souvent pas choisis.
Le cinéaste à la Palme d’Or était attendu au tournant. Un virage qu’il joue serré, avec brio. La première adaptation du roman de Joyce Carol Oates en 1996 n’avait pourtant pas marqué les esprits.
1955. Dans un quartier populaire d’une petite ville des États-Unis, une bande d’adolescentes crée une société secrète, Foxfire, pour survivre et se venger de toutes les humiliations qu’elles subissent. Ce gang de jeunes filles poursuit un rêve impossible : vivre selon ses propres lois. Mais l’équipée sauvage qui les attend aura vite raison de leur idéal.
Le réalisateur s’est entourée d’une équipe franco-canado-britannique, et a choisi de jeunes actrices encore inconnues du grand public. Raven Adamson est la vraie révélation de ce film. Elle campe le rôle de Margaret Sadovsky, alias Legs, tête brûlée et leader adulé du gang. Elle porte ses filles sur son dos, leur montre la marche à suivre, donne une impulsion aux Foxfire. Elle est jambes, Maggy (Katie Coseni) est la tête. Son vrai nom, c’est Madeleine Wirtz, une jolie rousse un peu timide qui prend en main les archives de Foxfire. Elle est le personnage-clé de l’histoire, la seule qui puisse vivre à l’écart du gang, qui semble dotée d’un sens critique à l’égard de Legs. Leur relation est intense, voire fusionnelle.
Dans un décor parsemé de maisons individuelles comme l’American Dream sait si bien les faire, Laurent Cantet dépeint des filles sans repères, sans autre point d’ancrage que leur gang, leur nouvelle famille. Les pères boivent, les frères ferment les yeux sur les actes de leurs copains, les autorités ne protègent pas mais condamnent. Peu à peu, Legs semble elle aussi perdre ses repères. Elle se transforme, physiquement d’abord, puis symboliquement, en cette figure masculine qu’elle vomit. Elle est l’homme fort du groupe.
Les filles se ressemblent, avec leurs jeans et leurs t-shirts, parfois leurs shorts, pour aller manger une glace au bord de l’eau. Leur féminité les distingue. Certaines sont aptes à attirer les hommes pour mieux les couvrir de honte, d’autres restent dans la voiture et observent, attendant la dernière minute pour participer à la fête.
Enfreindre les règles est jouissif. Regarder cet étonnant chef d’œuvre l’est tout autant. Les filles ne jouent pas, elles incarnent leurs personnages sans tomber dans la caricature. A travers le gang, c’est l’histoire de Legs qui se joue. Elle est coincée entre deux portes. Le gang voit en elle un chef sans failles. Elle est juste une jeune femme en devenir, brisée par une famille peu enviable.
Laurent Cantet parvient une fois encore à nous plonger dans un monde qui n’est pas le nôtre, dont on ressort chamboulé. Il s’efface et livre une histoire vraie, charnelle, brute.
Anaïs Bouitcha
Photo: Flickr/ Licence CC