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« Je n’ai rien d’un leader charismatique. Je n’ai ni l’envie de me mettre en avant ni l’envie de me retrouver derrière une organisation avec des dogmes à respecter et des consignes à faire appliquer ». Lorsque Harlem Désir tient ses propos devant un micro d’Europe 1, en 1985, il est à la tête de SOS Racisme, une organisation qui se veut indépendante et apolitique.
Aujourd’hui, Harlem Désir est devenu le premier secrétaire du Parti Socialiste, un des plus puissants partis de France. Fort du soutien direct d’une grande partie des « éléphants » du PS, du chef de l’Etat et de nombreux membres du gouvernement, il est parvenu à se hisser jusqu’à l’une des positions les plus enviables de l’échiquier politique actuel.
Pourtant, dès son intronisation, les critiques n’ont cessé de fuser : attaqué par la droite, le centre et même son propre camp, le successeur de Martine Aubry ne connaît aucun répit. Cinq mois après une élection décriée par bon nombre de militants et sympathisants socialistes, Harlem Désir n’a toujours pas réussi à se débarrasser de son image d’idiot utile de la majorité.

Accusé de manquer de charisme et d’autorité, il semble ne pas être à la hauteur des tempêtes qu’affrontent les socialistes depuis leur arrivée au pouvoir. Comment le flamboyant porte-parole de l’une des plus marquantes organisations du monde associatif est-il devenu cet apparatchik aussi puissant que moqué ?

Harlem Désir en 1985.

Harlem Désir en 1985.(Capture d’écran)

 

Du monde associatif à celui de la politique

Né d’un père martiniquais sympathisant communiste et d’une mère alsacienne membre de la CGT, Harlem Désir, de son vrai prénom Jean-Philippe, est né à Paris en 1959. Il commence à s’engager politiquement au début des années 1980, en adhérant au syndicat étudiant de l’UNEF-ID, dont il devient membre du bureau national.
Après avoir  obtenu une licence de philosophie en 1983, il fonde avec Julien Dray l’association SOS Racisme en 1984, dans un contexte de montée du Front National. Soutenue par le Parti Socialiste et l’Elysée, l’association, son logo et et son slogan « Touche pas à mon pote » connaissent un succès fulgurant : en 1985, l’association rassemble 300 000 personnes sur la place de la Concorde.
En 1987, au cours de l’émission L’Heure de vérité, Harlem Désir consacre son statut de porte-parole de la jeunesse mitterrandienne en brandissant sa carte d’identité au visage de Jean-Marie Le Pen, après que celui-ci a remis en doute sa citoyenneté.

Soucieux de se démarquer du pouvoir en place, il déclare ne faire partie d’aucun parti politique ( bien qu’il ait fait partie du PS de 1982 à 1984, et que son association bénéficie du soutien des plus hautes instances de l’Etat ). Ainsi, il n’hésite pas à critiquer certaines politiques du gouvernement de Michel Rocard, ainsi que la participation de la France à la guerre du Golfe en 1991.

Il quitte la présidence de SOS Racisme en 1992 afin de fonder un parti politique intitulé dans un premier temps Le Mouvement, puis Mouvement action égalité, qui finit par se transformer en club de réflexion lorsqu’il intègre le parti Génération écologie. C’est sous cette étiquette qu’il mène sa première campagne électorale dans la onzième circonscription des Yvelines, lors des législatives de 1993. N’ayant obtenu que 6,84% des voix, il réintègre le PS six mois plus tard ( alors qu’il avait refusé d’appeler à voter pour le candidat socialiste au second tour ), et devient membre du bureau national en 1994.

La progressive ascension des échelons du PS

Après une deuxième défaite à Aulnay-sous-Bois lors des élections législatives de 1997, il réussit à se faire élire au Parlement européen en 1999. Elu conseiller municipal d’opposition à Aulnay-sous-Bois en 2001, il est réélu au Parlement de Strasbourg en 2004 et devient alors vice-président du PSE.
Ainsi, c’est par la voie européenne que Harlem Désir réussit à s’élever progressivement dans les instances du Parti Socialiste. C’est à Strasbourg qu’il s’assagit, perd le charisme qu’il avait à l’époque de SOS Racisme, se transforme en technocrate et se met à pratiquer couramment la langue de bois.
Ses démêlés avec la justice, qui lui ont valu d’être condamné en 1998 à 18 mois de prison avec sursis et 30 000 francs d’amende pour abus de bien sociaux, ne ralentissent en rien son ascension ( une « erreur de jeunesse », reconnaît-il plusieurs années plus tard. Pour certains, les erreurs de jeunesse c’est fumer des pétards, sécher les cours, coucher avec n’importe qui, se lancer dans des projets irréalisables …Pour d’autres, c’est détourner l’argent du contribuable ).

En 2005, son attachement au projet européen, auquel il doit sa réussite politique, le pousse à défendre le « oui » lors du référendum constitutionnel. Il quitte alors le courant minoritaire de la Gauche sociale ( représenté à l’époque par Julien Dray et Jean-Luc Mélenchon ), et rejoint la famille jospiniste. Ce revirement spectaculaire lui met à dos toute l’aile gauche du parti : il devient officiellement un apparatchik.
En 2008, dans le contexte d’un PS qui n’a pas encore réussi à se remettre du raz-de-marée sarkozyste, il soutient dans un premier temps, la candidature de Bertrand Delanoë, avant de finir par défendre celle de Martine Aubry, qui le nomme à cette occasion secrétaire national chargé de la coordination ( un poste qui fait de lui le numéro 2 du PS ).
La candidature de la maire de Lille aux primaires du PS lui permet de devenir premier secrétaire du parti par intérim, du 30 juin au 16 octobre 2011. Cette parenthèse se finit abruptement lorsque Martine Aubry réinvestit le soir même de sa défaite, son bureau de la rue de Solférino : le lendemain, il retrouve ses affaires dans un carton, la première secrétaire lui faisant ainsi brutalement comprendre qu’il ne fallait pas qu’il se fasse trop d’idées.

 

DUPUY/NOSSANT/SIPA

Crédit photo : DUPUY/NOSSANT/SIPA

 

La pénible élection au poste de premier secrétaire

Ne se laissant pas démonter pour autant, il attend patiemment jusqu’au 27 mai 2012 pour annoncer sa volonté de succéder pour de bon à Martine Aubry.
Persuadé de n’avoir rien à craindre de lui, Jean-Christophe Cambadélis, le candidat soutenu au début par Martine Aubry, pense arriver aisément à ses fins. Harlem Désir profite de ce rapport de force inégal pour essayer de se présenter comme le candidat de la base du parti.
La situation se retourne lorsqu’il reçoit le soutien direct de plusieurs ministres influents comme Manuel Valls, Vincent Peillon, Pierre Moscovici et Stéphane Le Foll ( qui voulaient garder leur main-mise sur le parti en écartant le beaucoup moins malléable Jean-Christophe Cambadélis ).
Sous la pression des ministres « hollandais », Martine Aubry change finalement d’avis : le 12 septembre 2012, la première secrétaire du PS et le premier ministre désignent Harlem Désir comme tête de liste de la motion majoritaire. S’en suit alors une âpre bataille contre les autres candidats qui estiment avoir été spoliés. Espérant remporter facilement cette bataille, Harlem Désir n’est élu, face au représentant de l’aile gauche du parti Emmanuel Maurel, qu’avec 72,5% des suffrages.
Bien que sa victoire soit incontestable ( surtout lorsqu’on la compare à celle de Martine Aubry face à Ségolène Royal en 2008 ), Harlem Désir n’a pas réussi à asseoir sa légitimité. Il n’a été élu que par 46,5% des militants et le soutien officiel du gouvernement ne trompe personne : ils l’ont choisi car il est jugé transparent et inoffensif.

Harlem Désir, premier punching ball du Parti Socialiste

Contrairement à ce qui s’était passé sous la présidence de François Mitterrand, le PS n’est plus au cœur du dispositif du pouvoir, les grandes lignes du programme étant dorénavant décidées à l’Elysée et à Matignon. L’exode massif des meilleurs éléments de la rue de Solférino vers les ministères a vidé le parti de sa substance.
Cette fuite des talents qui, bien qu’elle ait favorisé son ascension, empêche le premier secrétaire de faire pleinement entendre sa voix dans la cacophonie communicationnelle du gouvernement. Pire, il ne fait que l’aggraver.
Voulant faire du PS un aiguillon du gouvernement sur les sujets dits « sociétaux », avouant au passage, de façon involontaire, l’incapacité de l’appareil socialiste à proposer des solutions innovantes aux problèmes sociaux et économiques, il s’est mis en tête de défendre tout ce que le gouvernement aura du mal à appliquer.
Ainsi, il prône une application dès 2014, de la loi de non-cumul des mandats ( alors que Manuel Valls et Claude Bartolone préféreraient 2017 ). Il continue à défendre l’emblématique taxe de 75% des plus hauts revenus ( malgré les avis défavorables du Conseil constitutionnel et du conseil d’Etat ). Il s’obstine aussi à vouloir inclure au projet de loi sur le mariage pour tous un amendement sur la PMA ( alors que ce n’est pas dans l’intention immédiate du gouvernement ). Enfin, on ne peut que douter de sa capacité à réussir à convaincre Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls d’accorder aux résidents étrangers extra-communautaires le droit de vote aux élections locales, une promesse électorale que le PS n’arrive pas à tenir depuis plus de trente ans.

Réduit à défendre la politique d’austérité du gouvernement, Harlem Désir contribue à l’éloignement croissant du PS de la gauche de la gauche. Le secrétaire national du Parti de gauche, François Delapierre,  a ainsi récemment déclaré à son égard : « Désir se réclame de Blum mais il est davantage l’héritier de Daladier qui justifiait déjà par des bobards sa soumission au gouvernement allemand ». Et toute la bonne volonté affichée par le premier secrétaire d’opérer un chimérique rapprochement avec cette partie de la gauche, ne peut faire oublier le simple fait que lors de la constitution de son équipe dirigeante, il n’a accordé aucune place aux membres de la motion Maintenant la gauche, celle défendue par son principal adversaire du congrès de Toulouse, Emmanuel Maurel.

Et comme si cela ne suffisait pas, il doit aussi faire face à de vives critiques venant de son propre camp. Aux constantes attaques d’un Jean-Christophe Cambadélis rendu amer par sa défaite, viennent s’ajouter les remontrances de plus en plus de membres du gouvernement, dont ses soutiens initiaux, qui lui reprochent son manque de consistance. Ainsi, Stéphane Le Foll a déclaré : « [Harlem Désir] a la nécessité de prendre en main la mesure de la situation globale et de fixer des objectifs de travail pour le PS ». « Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas au PS », ajoute François Rebsamen, président du groupe socialiste au Sénat.

Harlem Désir a touché le fond du gouffre politico-médiatique samedi dernier, lorsqu’il s’est fait étriller et humilier, pour ne pas dire tout simplement « démonter », par cet abominable réactionnaire qu’est … Laurent Ruquier, dans On n’est pas couché ( aidé, il est vrai, par Eric Zemmour, mais bon c’est quand même Laurent Ruquier qui a fait le plus gros du boulot ).
Espérons que M. Désir était à ce moment là devant sa télévision et que ça l’ait fait réagir, car il est plus que temps que le PS sorte de sa torpeur.

Arnaud Salvat