Samedi 12 avril, des milliers de personnes étaient présentes à la manifestation dont le mot d’ordre était « maintenant ça suffit, marchons contre l’austérité, pour l’égalité et le partage des richesses » entre République et Nation. Combien étaient-ils ? Comme toujours, le nombre varie. Jean-Luc Mélenchon avait déclaré vendredi penser que « ce sera un succès, comme d’habitude il sera nié », et prévu la venue de dizaines de milliers de manifestants. Hier soir, les organisateurs ont annoncé 100 000 participants quand, selon la police, ils étaient 25 000.
A 13 heures 30 place de la République, les ballons des syndicats et partis sont sur place, mais la foule attendue n’est pas encore au rendez-vous. La ferveur ne se fait pas vraiment sentir au début, la foule est plutôt clairsemée et les manifestants restent calmes et assez silencieux jusqu’au grand départ.
Les manifestants arrivent petit à petit, le cortège grossit et se met en marche vers 15 heures, alors que le départ devait être donné à 14 heures. On perçoit la difficulté à organiser correctement un événement de ce type, qui rassemble différents partis de la gauche de la gauche unis seulement par leur opposition au gouvernement et à sa politique, à Hollande et à Valls, mais dont les divergences bien connues restent malgré tout visibles. Parmi les manifestants, on trouvait davantage de militants que de sympathisants. Dans le cortège, on se connaît, on s’interpelle entre camarades, on se retrouve par partis ou syndicats. Par exemple, si le parti d’Olivier Besancenot était au rendez-vous comme convenu, ses militants ne se sont pas mélangés aux autres, restant majoritairement à l’arrière du cortège. Sans parvenir à constituer une véritable union au-delà des clivages, l’extrême gauche a su se retrouver dans des valeurs communes.
Pierre Laurent : « Remettre en route toutes les forces de gauche qui refusent l’austérité »
Car au delà du mot d’ordre, la manifestation a surtout été l’occasion, de l’aveu même de Pierre Laurent, « de remettre en route toutes les forces de gauche qui refusent les politiques d’austérité, qui refusent la fuite en avant qu’a choisie François Hollande après les élections municipales », de leur « donner de l’espoir ». Selon lui, « cette manifestation doit être un signal » lancé au président de la République qui « n’a rien entendu du message des électeurs de gauche » à qui il a « tourné le dos » en « amplifiant les mesures de droite et d’austérité ».
Le secrétaire national du Parti communiste affiche l’ambition de « reconstruire la gauche » en rassemblant « toutes les familles de la gauche française », prônant donc « une unité beaucoup plus large que celle des seules forces du Front de Gauche » avec « des socialistes, des écologistes qui ne se reconnaissent pas dans la politique gouvernementale » pour empêcher « la droite et l’extrême droite de remporter la mise comme aux municipales ».
Pierre Laurent : « Cette marche est aussi une impulsion pour les européennes »
Mais cette équation politique semble difficile alors qu’au sein même du Front de Gauche, principale force d’opposition de gauche au PS, des tensions multiples ont vu le jour entre communistes et mélenchonistes. Dernière en date, la bisbille concernant les têtes de listes aux européennes a « été résolue » selon Eric Coquerel, secrétaire national du Parti de Gauche. Le Front de gauche, après les récents remous qui ont remis en cause l’existence même du mouvement, va ainsi pouvoir afficher un semblant d’unité, faisant de cette marche « une impulsion pour les Européennes » afin de dire « non à l’austérité en France » selon Pierre Laurent et Eric Coquerel. Leur candidat à la Commission Européenne, Alexis Tsipras, leader du mouvement Syriza en Grèce, était d’ailleurs présent à la manifestation.
Selon Pierre Laurent, le pari est donc plutôt réussi puisqu’il y avait « les forces du Front de Gauche, des forces d’extrême gauche, des forces syndicales, des forces associatives très diverses. Il y avait en tête du cortège des écologistes, deux députés socialistes européens ». Eric Coquerel veut quant à lui croire à la participation future des membres du bureau national d’Europe Ecologie les Verts et fait de cette manifestation une « réussite totale ».
Bernard Thibaut : « Il ne faut pas s’étonner qu’il y ait des contestations »
Si les dirigeants d’EELV n’étaient pas présents, les membres du cortège cégétiste, dont faisait partie Bernard Thibault, l’ancien secrétaire général de la CGT, étaient nombreux malgré la volonté affichée par Thierry Lepaon, qui l’a remplacé à la tête du syndicat, « de ne pas engager l’ensemble des adhérents dans cette démarche et initiative politique ». Si l’ancien leader syndical approuve la décision de son successeur , il estime que cela « n’empêche pas chacun de ses membres de s’engager lui-même ». Monsieur Thibault s’est par ailleurs montré pessimiste quant aux chances d’infléchir la politique du gouvernement, notamment en ce qui concerne le pacte de responsabilité « concocté avec le syndicat patronal ». Selon lui, « on adopte des grands choix politiques et surtout économiques et on engage plusieurs dizaines de milliards d’euros, principalement à l’avantage des entreprises, sans que le bien fondé de ce choix n’ait été discuté », raison pour laquelle « il ne faut pas s’étonner qu’il y ait des contestations ».
Mais un constat est frappant : la jeunesse ne s’est pas mobilisée, peut-être en raison des vacances scolaires, alors que de nombreuses têtes blanches composaient le cortège. Un constat qui peut laisser penser que les jeunes générations, connues pour être moins politisées que leurs aînés, ne battent plus les pavés avec autant d’enthousiasme que jadis. C’est un signe plutôt inquiétant pour la gauche de la gauche en France, qui doit pouvoir compter sur une relève militante pour porter son mouvement. Le récent sondage Ifop (JDD du 13 Avril) indiquant une popularité en hausse pour Manuel Valls (58%) à la suite de son discours de politique générale majoritairement salué cette semaine, est-il l’indice d’une adhésion croissante à la politique libérale du Parti Socialiste ? La jeunesse semble répondre oui. A moins que, comme en témoignent les pratiques abstentionnistes marquées chez les 18-30 ans, elle ait cessé de répondre.
Roxane Duboz et Aymeric Misandeau