Le dernier roman de Dennis Lehane, un des maitres américains du thriller, est récemment sorti en langue française.
Ecrit par l’auteur des incontournables Mystic river, Gone Baby Gone et Shutter Island, tous adaptés dans les salles obscures, Ils Vivent La Nuit (suite d’Un Pays À L’Aube) continue de nous dévoiler la vie de la famille Coughlin. Exit Danny, le fils aîné, le personnage central de ce roman est Joe, cadet de cette famille d’origine irlandaise. Dans le Boston des années 20, en pleine prohibition, nous suivons donc Joe, jeune bandit déterminé à devenir quelqu’un dans le milieu impitoyable du crime.
En immersion dans le milieu criminel des années 20
Choix stupéfiant, le dénouement de l’histoire nous est révélé dès la première page de l’ouvrage. Pari risqué ? Certes. Révéler de telles informations au lecteur peut être rédhibitoire. Au fil des lettres élégantes du récit, nous ne pouvons qu’admirer ce véritable coup de maître de la part de l’auteur : à peine avons-nous lu cinq pages que nous ne pouvons déjà plus nous en détacher. Le récit ne s’essouffle jamais, gagnant même en puissance au gré des pages. Le premier chapitre esquisse immédiatement un univers violent qui, assez paradoxalement, hypnotise le lecteur. Nous sommes donc dans un bar clandestin de South Boston appartenant à Albert White (figure de la pègre bostonienne pratiquant le trafic de boissons au moment où la prohibition fait rage aux États-Unis) qui s’apprête à se faire braquer par Joe Coughlin et ses acolytes. Savent-ils que ce hold-up sera à l’origine de tous leurs maux ? Certainement pas en cet instant béni où ils s’enfuient, l’entreprise couronnée de succès et les sacs remplis de billets. Euphoriques oui, mais l’ivresse cèdera bien rapidement place à la peur. Peut-on braquer un parrain de la pègre en toute impunité ? C’est ce que révèlera la suite de cette histoire.
La pègre sait faire battre les cœurs
Que serait une histoire de gangster sans une affaire de cœur ? C’est ici que la belle Emma Gould fait son apparition. Originaire de Charlestown (quartier malfamé de Boston où la mafia impose ses propres lois) et serveuse dans le tripot que Joe a braqué, leur première rencontre n’a véritablement rien d’idyllique : le jeune Coughlin la bâillonnera même – mais, en bon gentleman qui se respecte, avec de la soie – après lui avoir préalablement lié les mains. Plus qu’une simple serveuse, Emma se révèle être une des conquête de White. Joe décidera d’ignorer ce contretemps et fera tout pour séduire la demoiselle… à ses risques et périls. L’histoire d’amour qui liera ces deux jeunes gens sera au centre de l’intrigue du roman, totalement indissociable du récit tant elle semble réelle, forte et véritablement « humaine. » Cette relation témoigne de la différence flagrante entre Joe et le milieu dans lequel il évolue : vivant dans un univers impitoyable, il ne cède pas à la violence gratuite et à l’appel du sang. En cela, il semble avoir un certain recul sur tout ce qu’il est entreprend. Un dialogue avec son frère, lorsque lui-même sera incarcéré, témoigne même d’un certain idéalisme qui semble incompatible avec ses activités criminelles. C’est toutefois cette différence qui fait sa force.
Un terrain de jeu immense et dirigé d’une main de maître par la plume de Lehane
Boston, ville de naissance de l’auteur, semble prendre vie par le biais de ses mots. Les descriptions, loin d’être inutilement chargées, parlent réellement au lecteur. On se surprend à s’imaginer dans cette ville américaine sous le joug de la prohibition comme si on regardait un film. Nous vivons les braquages, les courses poursuites, le caractère oppressant de certains chapitres et il faut se faire violence pour ne pas le terminer d’une traite, tant le style de Lehane est entraînant. Les personnages sont fouillés, avec des traits de caractères bien établis qui leur sont propres. L’ensemble est donc parfaitement cohérent, si bien que l’on peut parfois imaginer que ce roman quitte la fiction pour rejoindre la réalité. On envisage même parfois que Joe, Albert, Emma ou encore Maso aient véritablement vécus toutes ces épreuves. Le roman serait le témoignage de leurs vies trépidantes et dangereuses. Les villes de Tampa et de Cuba fourmillent de détails les rendant toutes aussi vivantes que la Boston explosive du début du manuscrit. Au-delà de l’histoire en elle-même, ce livre est une sorte de carnet de voyage qui nous permet de nous évader quelques instants de notre quotidien pour entrer dans un monde si dangereux… mais ô combien attirant.
Verdict
Années 20 aux Etats-Unis, entre-deux-guerres et prohibition, braquage, meurtres, gangsters, trahisons et histoire d’amour : nous avons là tous les ingrédients essentiels à un thriller palpitant. Suivre la vie du jeune Joe Coughlin, fils du commissaire adjoint, dans le milieu mafieux se révèle passionnant. De bandit de bas étages à prisonnier, puis de prisonnier à caïd : l’évolution du personnage est fascinante. Dennis Lehane réussit là où tant d’autres auteurs ont échoués, il parvient à nous rendre complice des crimes des bandits. Il nous place de l’autre côté de la loi et nous garantit d’intenses montées d’adrénalines au fur et à mesure que se déroule l’histoire. Les barrières entre le bien et le mal sont éclatées, et nous nous rendons compte que les malfaiteurs ne sont pas toujours ceux que l’on croit.
Nous ne pouvons que vous conseiller de vous jeter à corps perdu dans la lecture de ce chef-d’œuvre qui, à n’en pas douter, ne pourrait être que sublimé par une adaptation cinématographique fidèle. Si vous souhaitez vous procurer cet ouvrage, il est disponible depuis mars 2013 aux éditions Rivages.
« Ils Vivent La Nuit, c’est Le Parrain pour ceux qui savent penser. » Stephen King
Pour continuer dans le même registre :
- The Town, Chuck Hogan
- Heat de Michael Mann avec Robert De Niro, Al Pacino et Val Kilmer
- Public Enemies de Michael Mann avec Johnny Depp, Christian Bale et Marion Cotillard
Simon Sainte Mareville
Article intéressant donnant un bon aperçu du livre, ça me donne plutôt envie de le découvrir. Surtout après avoir vu Mystic River et Shutter Island, il serait temps que je découvre l’auteur. Merci pour cet avis.