Stéphane Richard, PDG d’Orange et Jean-François Rocchi, président du Consortium de réalisation, voient leur garde à vue prolongée. Ils doivent expliquer leur rôle dans le recours à un tribunal arbitral en 2007 pour régler le litige de la vente de l’équipementier Adidas.
La liste des protagonistes de l’affaire Tapie ne cesse de s’allonger. Le 11 juin 2013, c’est l’un des dirigeants du CAC 40 Stéphane Richard qui en fait les frais. PDG d’Orange, il est également l’ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde, lorsque cette dernière était ministre de l’Economie, de 2007 à 2011. Il est interrogé sur la responsabilité du ministère dans sa décision de 2007, concernant la vente d’Adidas. Les juges étudient la désignation des arbitres mais également la décision du gouvernement de ne pas contester le jugement du tribunal arbitral.
Ce verdict avait pourtant été très coûteux pour l’Etat. 403 millions d’euros ont été versés par le Consortium de réalisation à Bernard Tapie. Cet organisme public avait pour but de gérer le passif du Crédit lyonnais ; banque en faillite. En étant condamnée en 2008, cette structure implique donc nécessairement l’Etat, qui doit alors payer les dédommagements à l’homme d’affaires.
Jean-François Rocchi, président du Consortium, est lui aussi inquiété dans ce scandale politico-financier. Selon les enquêteurs, il aurait convaincu le conseil d’administration d’abandonner les procédures judiciaires qui opposaient le Crédit lyonnais à M. Tapie. Les irrégularités concernant le tribunal arbitral et sa décision seraient donc bien réelles.
Pour avoir accès à ce dossier épineux, l’Etat ainsi que le Consortium de réalisation et l’Etablissement public de financement et de restructuration qui le chapeaute, se portent partie civile dans cette affaire. L’Etat espère relever de nouveaux éléments tirés de l’instruction. Et pour cela, il devra faire vite. En effet, le temps est compté. La décision arbitrale remonte à juillet 2008 et est soumise à une prescription de cinq ans. Il ne reste donc plus que quelques semaines pour remettre en cause la décision du tribunal privé.
Les hautes sphères touchées par l’affaire Tapie
Stéphane Richard et Jean-François Rocchi ne sont pas les seuls incriminés dans cette affaire. Bien avant eux, d’autres personnalités du monde politique ou judiciaire ont dû rendre des comptes aux enquêteurs.
Après la décision du tribunal arbitral en 2008, les soupçons se sont posés sur l’Elysée. La présidence de la République, en la personne de Nicolas Sarkozy, aurait forcé la main à Bercy pour que soit ouverte cette procédure privée. La police a alors perquisitionné le bureau et le domicile du secrétaire général de l’Élysée de l’époque, Claude Guéant. En vain.
Un autre membre du gouvernement a également été cité dans cette affaire. En 2011 déjà, une information judiciaire pour « complicité de détournement de fonds publics » a visé la ministre de l’Economie Christine Lagarde. A nouveau auditionnée en mai 2013, elle est aujourd’hui placée sous le statut de témoin assisté.
Un mois plus tard, c’est le juge arbitre Pierre Estoup qui est mis en examen pour « escroquerie en bande organisée ». En effet, l’homme aurait conduit des expertises sur des dossiers concernant Bernard Tapie, et n’aurait donc pu être impartial face à la demande de dédommagement de ce dernier par le Crédit lyonnais.
Une histoire vieille de vingt ans, qui continue à inquiéter le monde politique et financier.
Mais l’affaire Tapie, késako ?
Le prologue de cette affaire débute en août 1990. Bernard Tapie rachète Adidas pour 1,6 milliard de francs. En entrant au gouvernement en temps que ministre de la Ville de François Mitterrand fin 1992, il décide de se débarrasser de l’entreprise. Il la confie à une filiale du Crédit lyonnais, avec un mandat de vente de 2 milliards de francs. C’est à ce moment là que débute l’affaire Tapie.
En février 1993, l’équipementier sportif est vendu à une autre filiale du Crédit lyonnais, qui possède alors 20 % de la société selon l’homme d’affaires. En décembre 1994, Robert Louis-Dreyfus fait l’acquisition d’Adidas pour 4,4 milliards de francs. Bernard Tapie estime avoir été floué par la banque et réclame une partie de la plus-value de la vente. Il attaque alors le Crédit lyonnais en justice qui, en 2004, est condamné à lui verser 145 millions d’euros par le Cour d’appel de Paris. Verdict annulé deux ans plus tard par la Cour de cassation.
Le plaignant fait alors appel à un tribunal arbitral en 2007 qui condamne le Consortium de réalisation en juillet 2008. Il doit verser 240 millions d’euros de réparations à Bernard Tapie, une centaine de millions d’euros d’intérêts et 45 millions d’euros pour préjudice moral. Une note salée de 403 millions d’euros pour l’organisme public. Aujourd’hui pointée du doigt pour son impartialité, la décision du tribunal arbitral pourrait être annulée. Dans ce cas, le riche homme d’affaires qu’est Bernard Tapie pourrait y laisser quelques deniers.
Camille Wormser