Inside Llewyn Davis, est le nouveau film des talentueux frères Cohen. Sorti le 6 novembre, il suscite depuis lors une salve de critiques élogieuses.
Ce film relate l’histoire de Llewyn Davis, chanteur de folk à New-York. Le spectateur vit une semaine de son existence, semée d’obstacles et d’aventures surprenantes. Cet artiste lutte pour gagner sa vie, et faire reconnaître une folk authentique et intègre.
Une histoire d’errance et de perdants
Llewyn, personnage principal de ce film, n’a rien du héros-type, bien au contraire. Son histoire est celle d’un chanteur méconnu, qui se bat pour gagner sa vie, mais surtout défendre la véritable essence du folk. Ce personnage poursuit un idéal, celui d’un chanteur fier de ses valeurs, porteur des traditions de la folk, qui a su rester authentique face à une industrie musicale de plus en plus capitaliste et stérile. Llewyn mène une vie hors-normes, c’est un homme qui vit au jour le jour, sans logement, sans fortune, sans emploi. Cet autodidacte représente la figure de l’artiste typique, un original exclu du monde parce qu’incompris. Le destin s’acharne constamment contre lui et en fait un éternel perdant.
C’est dans le Green Village des années 1960 que se tient cette histoire. New-York est présenté sous un aspect maussade, froid, miséreux. Chaque personnage semble perdu, enfermé dans ce quotidien de pauvreté et d’incertitude. Des images nettes et des personnages au teint poudreux offrent un tableau de dénuement extrême, empreint de désespoir et de tristesse. Des plans simples et intimistes permettent de mieux appréhender leur quotidien. La question de l’avenir est toujours présente : comment s’en sortir ? que faire de sa vie ?, comment subvenir à ses besoins ? Ces personnages incertains, faillibles et secrets suscitent rapidement l’empathie du spectateur. Leur sincérité et leur faiblesse poussent à vouloir leur bonheur, et qu’un échappatoire s’ouvre dans cette misère. Oscar Isaac et Carey Mulligan s’imprègnent totalement de leur rôle. Leur un jeu est tout en retenue et justesse.
Un film touchant de vérité et de légèreté
Il serait réducteur d’enfermer ce film dans un cadre de dépression et d’échec. Il s’agit avant tout du combat acharné d’un artiste, qui fait preuve d’ingéniosité et d’audace pour surmonter les obstacles entravant sa route. On s’attache très rapidement à ce héros-perdant, qui oscille constamment entre espoir et cynisme. Sa simplicité et son humour grinçant ajoutent une touche de légèreté à cette fable. Un lien se tisse entre héros et spectateur, et nous souhaiterions partager plus qu’une semaine à ses côtés, et voir ses efforts couronnés de succès. La tristesse évoquée auparavant est sans cesse désamorcée par des scènes d’une simplicité et d’une vérité poignantes. L’humour est toujours prêt à surgir, dans des scènes surprenantes et saugrenues, par exemple le duo Llewyn-Ulysse (chat roux partageant une partie de son aventure) ou encore le voyage qu’entreprend le héros jusqu’à Chicago, affublé d’un obèse méprisant et d’un chauffeur quasi-muet, poète mystérieux et risible. Ces scènes entraînent le rire franc d’un spectateur sans cesse pris au dépourvu. C’est dans ces moments de sincérité que le film trouve toute son humanité, et que les frères Cohen ont su montrer tout leur talent, dans cet équilibre parfait entre morosité et légèreté.
Hymne à la musique folk
Enfin, Inside Llewyn Davis se présente comme un hymne à la musique folk. Son héros est un chanteur talentueux, interprété par Oscar Isaac. Cet acteur et musicien fait preuve d’un talent sans borne, dans son jeu comme dans son chant. Son personnage représente une folk attachée à ses traditions et valeurs, alors que des artistes plus commerciaux commencent leur ascension. A travers son chant, pur et enivrant, Llewyn ouvre une porte vers son intériorité. Sa peine, ses espoirs et sa douceur se lisent à travers son chant. Ces interludes musicaux renforcent cette connivence établie entre héros et spectateurs. Deux arts, ceux du cinéma et de la musique communient ici en parfaite harmonie, pour nous offrir un histoire pleine d’humanité et de vérité. Cette solitude et ce chagrin qui pèsent sur chaque personnage sont dépassés dans la musique et permettent une communication puissante entre public et artistes.
Deux visions de l’art se font également face dans ce film. Llewyn représente un artiste intègre, refusant toute concession quant à sa façon de mener sa vie et son art. S’oppose à cette image d’un art engagé et porteur de sens, une industrie de la musique hypocrite et capitaliste. Les auditeurs sont présentés comme des consommateurs en quête d’immédiateté, de musiques entraînantes mais dénuées âme. Cet art commercial est tourné en dérision, où sont révélés des textes sans fond, aux paroles absurdes et enfantines. Certains artistes à succès choisissent ainsi la voie de la facilité, et présentent un contraste saisissant avec le rude combat entrepris par Llewyn. Son chant déchirant révèle au spectateur ce que signifie l’art véritable. Ainsi, les artistes inconnus, ceux qui n’ont pas rencontré le succès et la gloire sont portés sur le devant de la scène. Ces hommes ont donné une part importante de leur vie et de leur âme à la musique, et ont contribué à fonder cet empire monumental qu’est la folk d’aujourd’hui. Les perdants deviennent héros, leur combat finalement honoré et leur intégrité retrouvée.
Camille Muller