Après avoir claqué la porte du PS et d’EELV, Pierre Larrouturou vient de fonder le parti Nouvelle Donne en lien avec le Collectif Roosevelt 2012. Il a accepté de revenir en détail pour Parlons Info sur son parcours politique et sur les idées qu’il défend au sein de Nouvelle Donne. Découverte d’un homme « scandalisé » pour qui la menace d’un conflit mondial est réelle.

Pierre Larrouturou (Photo: Marie-Lan Nguyen / Licence CC)

Pierre Larrouturou (Photo: Marie-Lan Nguyen / Licence CC)

 

Parlons Info : Tout d’abord, une question simple : qu’est-ce qui vous a poussé à entrer en politique ?

Pierre Larrouturou : Je suis vraiment scandalisé quand je vois un homme ou une femme qui dort dans la rue, qui cherche de la nourriture dans les poubelles, quand je vois un enfant en  CM2 qui est déjà en échec scolaire, quand je vois des gens qui meurent de faim en Afrique ou ailleurs. Je suis donc très sensible aux inégalités. Je pense aussi qu’on a jamais été aussi riche et qu’on a tout pour être dans un pays de Cocagne. Ca fait 20 ans que je suis engagé en politique. A  l’époque, j’étais consultant chez Arthur Andersen, j’ai passé mon temps à faire des gains de productivité et en même temps, j’allais avec ATD quart-monde dans les quartiers difficiles pour essayer de lutter contre la pauvreté. J’étais un peu schizophrène ! Je me suis alors dit que mon but dans la vie n’était pas de faire du fric, n’était pas de faire toujours plus de productivité et qu’il fallait mettre de l’intelligence dans le débat public.

 

Vous avez milité pour la semaine à 32 heures, l’un de vos premiers engagements…

Comme consultant, je me rendais compte qu’on mettait en place de plus en plus de robots et d’ordinateurs. Dans une entreprise, on a augmenté de plus de 50% la productivité en gardant le même volume de travail. A ce moment là, est-ce qu’on licencie les gens en les laissant avec 0 heure par semaine ou est-ce qu’on est capable d’une répartition du travail plus intelligente ?

 

Pourtant, les 35 heures sont régulièrement remises en cause, comment envisagez vous ce passage aux 32 heures ?

Déjà, à l’époque, j’étais un des rares à critiquer les 35 heures. Les 35 heures ont été un demi-échec qui a quand même créé 300 000 emplois donc ça n’est pas une catastrophe totale. Une étude du ministère du travail montre qu’en passant à la semaine à 4 jours, on pourrait créer 1,6 millions  d’emplois ! On dit qu’on est en crise mais le gâteau a plus que doublé depuis 1974, on produit deux fois plus de richesse et pourtant dans tous les pays il y a des millions de chômeurs et de précaires. L’explication fondamentale, c’est qu’il y a de plus en plus de robots et d’ordinateurs. On vit une révolution de la productivité, la preuve : on a fait plus de gains de productivité en 40 ans que sur les deux siècles précédents durant lesquels on est passé de 6 jours de travail à 5, on a créé les vacances. On avait divisé par deux le temps de travail alors que depuis 40 ans, il n’y a plus de changements !

Sarkozy nous dit : il faut travailler plus pour gagner plus. C’est une hérésie ! En plus de cela,  on a multiplié par 7 le nombre d’étudiants. On a donc plus d’intelligence et une révolution technologique, ce qui fait des gains de productivité colossaux. D’ailleurs 35 heures, c’est la durée officielle mais Xavier Bertrand reconnaissait qu’en moyenne, le durée de travail était à 39,6 heures. C’est donc un partage du travail assez stupide : certains sont à 0 heure par semaine alors que d’autres font 40 heures. Les 32 heures, c’est autre chose. C’est plus intelligent, plus simple, plus humain  et  plus  économique en plus ! 2 millions de chômeurs en moins, avec ça et les autres  propositions de Nouvelle Donne, c’est deux millions de personne qui vont consommer normalement. Le partage du temps de travail actuel est stupide et les seuls qui en profitent sont les actionnaires ! On voit dans tous les pays  occidentaux que la part qui va aux salaires diminue alors que les actionnaires font des profits colossaux. La partie néo-libérale du Medef ne veut plus qu’on parle du temps de travail car le partage actuel leur va très  bien. Donc on est pour un autre partage plus favorable aux travailleurs et au pays.

 

Pour vous la crise est donc due à une mauvaise répartition des richesses et, d’ailleurs, vous dites qu’on ne connaîtra plus de croissance…

On ne retrouvera plus la croissance, d’abord pour des raisons liées au climat, pour des raisons énergétiques, à cause de la saturation des biens et du marché. D’ailleurs, pour des raisons énergétiques, il n’est pas souhaitable d’avoir une croissance plus forte. En un an, il y a eu en France 300 000 chômeurs de plus et 400 000 personnes qui ne sont plus considérées comme chômeurs et qui sont tombées dans la pauvreté.  Humainement, c’est dramatique et sur le plan économique aussi. C’est le serpent qui se mord la queue ! La consommation ne peut pas être relancée ! Moscovici et  Hollande disent : « Ne vous inquiétez pas, la croissance revient », plus personne n’y croit. En Allemagne, la croissance est nulle et aux États-Unis, ils n’ont que 0,9% d’augmentation du PIB/tête.  C’est un cercle vicieux, plus on attend la croissance, plus on tombe dans la récession. Par contre, si on met en place les idées de Nouvelle Donne, c’est à dire une vraie politique sur  le logement, sur les PME, sur l’énergie et sur le temps de travail, on peut créer 2 millions d’emplois et ainsi relancer l’activité. En plus on diminuera notre consommation d’énergie, de pétrole et de chauffage.   Attention, je ne parle pas de PIB, ce qui compte, ce sont les indicateurs sociaux et environnementaux.

 

C’est donc ça votre New Deal ?

En français, ça se dit Nouvelle Donne. Mais c’est aussi une nouvelle donne démocratique, parce qu’on en peut plus d’avoir le pouvoir confisqué. Même Jean-Marc Ayrault dit qu’il n’en peut plus de l’inaction de Hollande sur l’Europe. Il ne croit pas au retour de la croissance et voulait changer de politique mais on est dans un système monarchique où 3 personnes à l’Élysée prennent les décisions !

 

Vous aviez d’ailleurs été très critiqué par la direction du PS lorsque vous aviez publié un tract montrant la baisse de la croissance depuis 40 ans…

C’était très violent. Comme quoi quand on leur met la vérité sous les yeux, ils ne trouvent pas ça drôle.

 

Vous aviez également eu des problèmes avec la direction nationale d’Europe Écologie Les Verts lorsque vous y étiez, quelles en étaient les raisons ?

Il y avait deux raisons. D’abord, la transparence financière. J’avais expliqué que la structure dirigée par Jean-Vincent Placé avait fait 150 000 euros de marge en 3 jours sur l’argent public. Quand on fait un choix éthique, quand on met Eva Joly en tête de gondole, il faut soit même être transparent sur les comptes. C’était aussi un problème politique : ils se sont couchés pour  17 députés et 2 ministres et  ont abdiqué sur les questions économiques et sociales.

 

Vous avez été à l’origine du collectif Roosevelt (avec, entre autres, Stéphane Hessel, Edgar Morin, Michel Rocard, Lilian Thuram et Bruno Gaccio), auteur de 15 propositions que deux ministres, Jean Marc Ayrault et Arnaud Montebourg, ont signées.  Comment expliquez-vous qu’ils n’agissent pas en faveur des  propositions ?

Il faut leur demander. Si on a créé Nouvelle Donne, c’est parce qu’on en a marre de leur demander. Peu de temps avant sa mort, Stéphane Hessel voulait qu’on fasse un petit livre intitulé « Répondez nous ! » car rien n’a été fait malgré nos 15 visites à l’Élysée. Malheureusement, il est mort et je n’ai pas eu le courage de faire le bouquin sans lui. Ca reste un vrai scandale ! Il y a un vrai découragement chez les députés, ils se font engueuler par tout le monde, ils se sont fait élire sur un programme pas très bon mais, au lieu d’utiliser leur fonction pour agir, ils attendent que le FN passe en laissant les commandes à une équipe qui ne sait pas où elle va. Nouvelle Donne a été créé pour permettre aux citoyens de reprendre la main. Si vous pensez que tout va bien, votez PS ou UMP, si vous  voulez faire péter le système vous votez pour ceux qui veulent le faire péter. Reste une dernière solution : prendre une heure pour lire nos propositions. L’avenir de notre société mérite qu’on prenne une heure pour réfléchir ! Si vous pensez qu’une heure, c’est trop, ne vous étonnez pas que ça tourne mal.

 

Vous optez d’ailleurs pour une politique interventionniste…

Oui, mais pas étatiste. L’austérité nous mène à la catastrophe, faire marcher la planche à billet ne marche pas non plus. Les libéraux nous expliquent qu’il faut laisser faire les marchés. Nous, on pense que l’économie, c’est complexe mais pas compliqué.  Ben Bernanke dit que même en aillant injecté plus de 1 000 milliards de dollars en un an, les États-Unis ne sont pas sortis de la crise . Et le taux d’activité s’effondre : moins de 63% des américains adultes sont actifs ! Le modèle du Medef et de la politique de l’offre, c’est les États-Unis où il n’y a presque pas de cotisations sociales, où les gens doivent payer eux-mêmes leur santé et s’endetter pour entrer à l’université. Il n’y a presque pas de code du travail ni de cotisations mais ça ne marche pas. Malheureusement, c’est le modèle des libéraux, des keynésiens et des souverainistes qui pensent que la planche à billet peut nous sortir de la crise. La politique de l’offre ne marche ni aux États-Unis, ni en Allemagne, ni au Japon. Il faut réfléchir à un autre modèle.

 

Vous êtes résolument européen, n’est-ce pas un risque politique alors qu’on fait état d’une montée du sentiment anti-européen ?

La politique, ça n’est pas surfer sur la peur des gens. La France ne peut pas faire bouger les choses seule face aux États-Unis et à la Chine. L’Europe est la première puissance économique au monde et si elle était une puissance politique  qui protégeait son modèle social et pesait sur la mondialisation, elle pourrait changer les choses. Mais il y a un blocage politique. On ne fera rien ni à 28 ni tout seul.  Notre stratégie est simple : taper du point sur la table en disant que pendant 30 ans, l’Europe a été un modèle de justice sociale et de coopération. Mais depuis les année Thatcher, les politiques européennes ont radicalement changées. Nouvelle Donne propose une contre-révolution pour remettre d’aplomb ce que 30 ans de dérégulation ont mis sans dessus dessous. C’est faisable ! On ne le fera pas à 28 mais pourquoi pas avec les 11 pays qui ont signé la taxe Tobin et qui ont déclenché la furie de banques qui ont peur. Au lieu d’augmenter l’impôt sur les gens et d’accentuer l’austérité, on pourrait faire un impôt sur les bénéfices pour lutter contre le dumping fiscal. Ça n’est pas au peuple, ça n’est pas au salarié, au retraité, au paysan de payer !

 

L’Allemagne de Merkel ne semble pas opter pour ce genre de solutions…

Mais Merkel met en place un salaire minimum ! D’abord parce qu’elle est bloquée politiquement mais aussi parce que la consommation chute en Allemagne. Les allemands se rendent compte que si tout le monde baisse les salaires, ça augmente la souffrance sociale. Les capitaines d’industrie ont beau faire des bénéfices énormes, si la consommation chute, ça crée des problèmes.

 

C’est une critique directe de la politique de François Hollande…

C’est une stratégie mortelle socialement et politiquement. On peut faire des économies sur les dépenses de santé, les laboratoires pharmaceutiques sont presque aussi dangereux que les lobbys bancaires. Il y a aussi des économies à faire sur le territoire, on pourrait redéployer une partie des salariés car il y a des services publics où il y a trop de monde et d’autres, comme la police, l’éducation et la justice où il manque du monde. Il ne s’agit pas de mettre au chômage mais de gérer plus intelligemment les effectifs. D’accord pour simplifier le code du travail parce qu’il a doublé de volume en 30 ans sans que les salariés soient mieux protégés. On n’est donc pas dans le conservatisme de gauche mais dire qu’en baissant le coût du travail, on va créer 2 millions d’emplois, c’est se moquer du monde et alimenter la crise politique !

 

Mediapart titrait  à propos de Nouvelle Donne : « De l’ambition mais quelle stratégie ? », que voudriez vous leur répondre ?

Le papier était plutôt sympa puisqu’il reconnaissait qu’on était nombreux au meeting de Paris alors que les écolos sont deux fois moins nombreux. En deux mois, cela veut dire qu’il y a une dynamique ! L’article dit aussi que nous proposons beaucoup de choses concrètes ! Si on nous critique parce qu’on ne dit pas avec qui on s’allie au deuxième tour,  ça tombe bien aux européennes, il n’y a qu’un tour ! Avant de savoir avec qui on va s’allier  en 2028, on voudrait qu’un maximum de citoyens connaisse nos idées. Beaucoup de gens sont désespérés, ne pensent plus voter ou pensent voter FN pour dire merde au système. Ils ont de bonnes raisons de dire merde mais il faut une critique constructive. Nous serons très content si on dégonfle l’abstention et le Front National. On n’en est pas encore à savoir avec qui on va s’allier. On est dans une situation très instable. Beaucoup de gens du Front de Gauche ou d’EELV nous disent que ça va péter après les européennes et qu’il va falloir se recomposer, que Nouvelle Donne aura un rôle dans cette recomposition. Pour nous, les élections européennes du 25 mai sont une première étape pour permettre aux citoyens de reprendre la main et d’imposer une nouvelle politique. En 1983, Mitterrand et Mauroy ont été obligé de changer de politique par les marchés financiers, est-ce qu’on est capable de faire en sorte que les citoyens imposent à François Hollande une politique de justice sociale ?

 

En 2008, vous aviez mené le mouvement Nouvelle Gauche au sein du PS, avez-vous toujours l’ambition de refonder la gauche ?

Le mot gauche est très porteur, j’ai toujours voté à gauche mais notre mouvement rassemble des gens qui n’ont jamais voté à gauche. Dans le CNR, la plupart des gens étaient à gauche mais il y avait aussi des gaullistes. Tous luttaient ensemble contre les nazis mais aussi pour réfléchir à un nouveau modèle économique. Est-ce qu’on attend qu’il y ait 30 millions de morts ou plus ? Parce que si la Chine envahit le Japon, ça va faire mal.

 

 Vous pensez que c’est possible ?

La réponse est oui, la Chine est déjà a plus de 20% de chômage et la bulle immobilière est en train d’exploser. Pour faire face à cette crise économique et sociale, la dictature chinoise, qui veut garder le pouvoir, a doublé le budget militaire et veut créer une vraie flotte de guerre avec trois porte-avions. Le Japon a commis des atrocités pendant la Seconde Guerre mondiale en Chine et des millions de chinois attendent le match retour. La situation est très inquiétante car il est rare de voir un pays qui multiplie son budget militaire par quatre et qui n’en fait rien. Et lorsque je le dis à François Hollande, il ne me dit pas de prendre des médicaments, il partage mes inquiétudes.

 

Le risque d’une Troisième Guerre mondiale est donc réel selon vous ?

J’espère me tromper mais en 2003 j’expliquais déjà qu’on allait avoir une crise financière majeure. DSK avait dit « Larrouturou s’inquiète pour rien, il n’y a aucun risque de crise ». Ça fait 5 ans que je dis avec Joseph Stiglitz que  la bulle chinoise va exploser. Le FMI dit que la dette chinoise a augmenté de 25% du PIB en un an. C’est du délire ! Mes avertissements sont vérifiés puisque la croissance se plante et que l’activité industrielle recule en Chine. Ils se foutent du chômage, de l’éducation, des problèmes de climat et ne font que répéter que la Chine est le moteur de la croissance mondiale mais la Chine est la plus grosse bulle qu’on ait jamais vue ! En Europe, la situation n’est déjà pas brillante mais en Asie, ça peut très mal finir ! Les citoyens ont le droit de changer les choses. La France est une des cinq plus grandes puissances économiques. On peut donc espérer un effet domino en cas de changement dans notre pays car tous les pays cherchent des solutions ! A l’inverse, si le système s’effondre, on va tous s’écrouler. Nouvelle Donne veut changer la politique en France mais, en cas de réussite, je suis sûr que de nombreux pays regarderaient ce qui se passe chez nous. Nous sommes la seule alternative crédible, le PS et l’UMP ont montré leur nullité !

 

Propos recueillis par Aymeric Misandeau