Mercredi dernier est sorti le dernier film du réalisateur texan Wes Anderson. Encensé par les critiques et fort d’un Grand Prix du Jury – Ours d’argent – reçu au dernier festival de Berlin, The Grand Budapest Hotel semble bien parti pour être un petit succès en France. Cependant, derrière ce film au casting « incroyable », se cache un réalisateur en recherche constante d’histoires à raconter, dont l’univers unique caractérise sa filmographie.
Une longue route vers la reconnaissance internationale
Pour arriver à être l’un des films les plus attendus de ce début d’année, il a d’abord fallu parcourir une longue route. The Grand Budapest Hotel est le septième long-métrage réalisé par Wes Anderson et le sixième à sortir dans les salles françaises. Son premier film Bottle Rocket (1996) n’est sorti en France directement en DVD qu’en 2004 sous le titre Tête Brûlée, à l’occasion de la sortie de The Life Aquatic with Steve Zissou – La Vie Aquatique en français. Ce film fût d’ailleurs un énorme échec commercial aux États-Unis, n’engrangeant que 560 000 dollars de recettes pour un budget de 7 millions de dollars. Le petit succès critique du film aux États-Unis permet à Wes Anderson de réaliser son deuxième film, Rushmore, en 1998. Si le film du jeune réalisateur de vingt-neuf ans a obtenu un beau succès critique aux festivals de Toronto et de New-York, le long-métrage est malheureusement encore déficitaire – 17M$ engrangés pour un budget de 20M$ – à cause, notamment, d’un faible succès auprès des spectateurs européens – seulement 4500 entrées en France. Encore une fois sauvé par la critique, Anderson obtient un budget de 21M$ pour la réalisation de son film The Royal Tenenbaums – sorti sous le titre La Famille Tenenbaum en France. Pour la première fois, le jeune Texan obtient un très grand succès, aussi bien de la part de la critique que des spectateurs. Le film reste à ce jour son plus gros succès en terme de box-office aux États-Unis – 52 millions de dollars de recettes – et dans le monde – 71 millions. En France, Anderson connait ainsi son premier succès, avec plus de 300 000 entrées.
Cet énorme succès lui permet de se doter d’un budget plus conséquent pour La Vie Aquatique (2004) qui sera encore une fois un échec aux États-Unis avec, cette fois-ci, un accueil critique mitigé. En France, le film fait tout de même 250 000 entrées et obtient une unanimité au niveau des critiques. À bord du Darjeeling Limited (2007) reste à ce jour son plus gros succès en France, avec plus de 550 000 entrées. Son film suivant est un long-métrage d’animation, appelé Fantastic Mr. Fox. Ce film a obtenu un énorme succès critique et même le Cristal du meilleur film au festival international du film d’animation d’Annecy. Cependant si le film réussit à être rentable à l’échelle mondiale, le succès est encore en demi-teinte auprès des spectateurs français avec seulement 430 000 entrées. Son dernier film en date, Moonrise Kingdom, présenté en 2012 en ouverture et en compétition du Festival de Cannes obtient également un beau succès critique – sans toutefois remporter de prix à Cannes – et est un énorme succès au niveau mondial – 64,5 millions de dollars de recettes pour un budget de 16 millions, soit le film le plus rentable d’Anderson. En France, le film totalise 475 000 entrées, soit son deuxième plus gros succès.
Une équipe gagnante
Le réalisateur a donc parcouru un long chemin avant de parvenir à être reconnu et à concilier succès critique et succès économique. Son succès critique se base notamment sur un style cinématographique bien particulier, alliant musique, mise en scène, acteurs et actrices dans un univers inspiré des contes de Roald Dahl. Les collaborations, d’abord, sont une des clés de son cinéma. Aussi bien au niveau des acteurs – Bill Murray, Owen Wilson… – qu’au niveau de la technique – Alexandre Desplat à la musique depuis Fantastic Mr. Fox, Roman Coppola à la co-écriture des scénarios… Le spectateur peut ainsi suivre facilement l’évolution des rôles des personnages présents d’un film à l’autre. C’est presque devenu un jeu que d’attendre les apparitions de Bill Murray, de se demander le rôle qui sera attribué à chacun de ses acteurs fétiches à la sortie de chaque long-métrage. Wes Anderson pourrait en ce sens être rapproché du cinéma des frères Coen – Steve Buscemi, John Goodman ou encore George Clooney apparaissant dans de nombreux films – ou de Tim Burton – Johnny Depp, Christopher Walken, Mchael Caine … Même si les univers sont très différents, on peut reconnaitre la signature Wes Anderson comme on reconnait celle d’un Tim Burton. Les enfants remplacent les monstres et les couleurs très prononcées remplacent la noirceur des films de Burton.
Le cinéma au service du lyrisme
Outre les personnages et la musique récurrente, la mise en scène des films de Wes Anderson se caractérise principalement par le fait qu’elle est visible à l’écran. Des mouvements de caméra verticaux nous font passer d’un étage à un autre, nous permettant d’avoir le début d’une action d’un personnage finissant sur l’action d’un autre personnage. De plus, il arrive très souvent qu’un des personnages parle à la caméra, voire même qu’il joue avec. L’organisation de cette mise en scène se retrouve dans le jeu des acteurs, souvent très orchestré, très parodique parfois, tant on voit qu’ils sont en train de jouer leur rôle. La force des films du réalisateur texan est que, justement, tous ces éléments ajoutés les uns aux autres se complètent parfaitement et légèrement, sans que le film en devienne indigeste. La simplicité des personnages, alors qu’ils sont nombreux – ce qui lui permet, en passant, d’avoir un casting « merveilleux » facilement, puisqu’il ne consiste finalement qu’en une multitude de second rôles – permet au spectateur de regarder les films aussi facilement que si quelqu’un, dans la salle, lui lisait un conte. C’est exactement le sens qu’ont ces films, raconter une histoire, merveilleuse ou non, inventée ou non, avec ou sans ajout, comme on raconte une histoire à un enfant : certains passages sont lus plus rapidement, d’autres plus lentement, parfois le conteur intervient, parfois il y a même des erreurs mais, finalement, peu importe, c’est le lyrisme de l’histoire qui compte.
Edouard Lenormand