La première semaine de course a tenu toutes ses promesses, voire d’avantage encore. D’habitude destinée aux sprinteurs, ils n’ont cette fois-ci pas été les seuls à s’illustrer, les favoris du Tour ont dû s’employer pour ne pas perdre de temps dans les différents coups de bordure et surtout dans l’enfer du Nord, l’étape pavée. Bilan au premier jour de repos d’un Tour plein de rebondissements et coups de théâtre.
La semaine allemande
Il n’y a pas qu’en foot que les Allemands s’illustrent. Bien qu’ils ne soient plus en mesure de disputer le classement général depuis la retraite de Jan Ullrich, ils restent de redoutables compétiteurs. Dans la lignée d’Erik Zabel, recordman du nombre de maillot vert sur le Tour, d’excellents sprinteurs se cachent dans les rangs allemands. Marcel Kittel a remporté trois étapes et semble imbattable en cas d’arrivée sur le plat. Ni Peter Sagan, ni Alexander Kristoff, ni Arnaud Démare, ni Bryan Coquard n’ont été en mesure de battre l’ogre . Seul André Greipel, un autre sprinteur allemand, a su tirer son épingle du jeu en gagnant une étape alors que Peter Sagan, qui court toujours après un succès dans cette 101e édition, devrait tirer avantage de sa polyvalence pour grappiller des points et emmener le maillot vert à Paris. Mais, non content de remporter tous les sprints massifs, les Allemands se permettent de gagner les étapes de moyenne montagne, comme ce fut le cas dimanche. Tony Martin, multiple champion du monde de contre-la-montre, nous a gratifié d’une longue échappée solitaire avant de l’emporter avec de nombreuses minutes d’avance sur ses poursuivants. 5/9, c’est quand même pas mal ! Heureusement , ils ont laissé un Français s’illustrer : Blel Kadri, baroudeur infatigable, a réussi à se glisser dans la bonne échappée avant de déposer ses compagnons d’échappée et de filer seul vers la victoire.
Le flop britannique
Le Tour devait être une grande fête pour les Britanniques. D’abord parce que la Grande Boucle est partie de Leeds et a sillonné l’Angleterre trois jours durant, la foule présente sur le bord des routes témoignant d’un réel engouement populaire outre-Manche pour l’épreuve, mais aussi parce qu’ils avaient de réelles chances de succès sur ce Tour. Mark Cavendish a longtemps régné sur les sprints du Tour de France, plus de vingt étapes du Tour figurant à son palmarès, et nourrissait l’ambition de reconquérir le maillot vert alors que Christopher Froome, deuxième Anglais après son coéquipier Bradley Wiggins à gagner le Tour en 2 ans alors qu’aucun Anglais n’y était pas parvenu en 99 éditions, semblait à même d’amener le maillot jaune pour la deuxième année consécutive sur les Champs Élysées et faisait figure d’épouvantail dans ce Tour de France 2014.
Et là encore comme à la Coupe du Monde, les Anglais n’ont pas passé le premier tour. Dès la première étape, les Britanniques ont dû revoir leurs objectifs à la baisse. Mark Cavendish a été contraint à l’abandon suite à une chute dans l’emballage final, l’ ancien champion du monde partant à la faute lors du sprint. Dès lors, tous les espoirs se sont reportés sur Chris Froome, grand favori pour le classement général, Bradley Wiggins n’étant pas présent sur l’épreuve cette année en raison de l’inimitié qu’il porte à Froome. Pour la première fois, la mécanique qui avait fait le succès de la team Sky ces deux dernières années s’est enrayée.
La première semaine de course est toujours très nerveuse sur le Tour et celle-ci n’a pas échappé à la règle. La foule présente sur le bord de routes parfois très étroites, la lutte perpétuelle entre les équipes qui « frottent » afin de placer au mieux leur leader ou leur sprinteur, la fatigue accumulée et les erreurs d’inattention ont entrainé de nombreuses chutes et ont eu raison de plusieurs coureurs. Et la première victime de ce début de Tour mouvementé, parmi les prétendants au maillot jaune, n’est autre que Christopher Froome, contraint à l’abandon après une succession de chutes survenues au plus mauvais moment. Le champion anglo-kenyan a du renoncer à son rêve lors de l’étape des pavés, la seule susceptible de créer des écarts entre les favoris durant la première semaine et la plus exigeante sur le plan physique. Le dernier vainqueur du Tour a été victime de l’enfer du Nord, les forçats de la route ayant été mis à l’épreuve durant cette étape périlleuse rendue encore plus difficile par les intempéries incessantes et les températures quasi-hivernales. Le Tour se fera donc sans les Britanniques.
Nibali vs Nibali ?
Au départ du Tour, deux hommes faisaient figures de grandissimes favoris: Christopher Froome, vainqueur du tour 2013, et Alberto Contador, le « Pistolero » vainqueur des tours 2007 et 2009. Mais l’étape des pavés, très attendue, a rebattu les cartes. Chris Froome a abandonné avant même le premier secteur pavé de ce « petit Paris-Roubaix », Alberto Contador a lâché du temps sur les pavés, complètement tétanisé, montrant des signes de fébrilité inquiétants alors qu’un troisième homme a marqué les esprits: Vincenzo Nibali dit « le requin de Messine. D’emblée, il avait été nommé à ce poste. Impressionnant l’an dernier sur le Giro qu’il a remporté, l’Italien manquait de résultats avant de frapper un grand coup lors de cette étape. Après avoir remporté de peu une étape qui ne lui était pas forcément destinée et conquis le maillot jaune, lui qui n’a jamais disputé Paris-Roubaix est parvenu à se hisser au niveau des meilleurs spécialistes des pavés. Avec plus de deux minutes de retard sur le requin de Messine, le Pistolero était donc obligé de dégainer le premier. Mais l’Espagnol n’a même pas eu le temps de montrer ses armes puisque, lors de la première étape de montagne, dans une descente rendue glissante par la pluie, il est tombé en pleine vitesse. Profondément ouvert au genou et retardé par les soins prodigués par les médecins du Tour, il a dû renoncer, laissant seul Nibali. Vu l’avance accumulée sur ses poursuivants et le manque de concurrence, hormis défaillance ou chute,on ne voit pas qui pourrait empêcher le leader d’Astana d’emmener le maillot jaune à Paris. L’italien a étalé sa puissance dans les Vosges, dans la terrible ascension de la Planche des Belles Filles, affichant de belles qualités de grimpeur.
Qui pour créer la surprise ?
Contador et Froome out, de nombreux coureurs peuvent espérer tirer leur épingle du jeu. Richie Porte, leader de substitution d’une Sky orpheline de Froome, est deuxième à 2 minutes 23 et pourrait monter en puissance après un début de saison tronqué par les blessures et les maladies. Alejandro Valverde, vieux briscard espagnol, est troisième à 2 minutes 47 mais semble incapable de faire la différence en contre-la-montre comme en haute-montagne. On citera aussi Tejay Van Garderen, le rouleur-grimpeur américain restant dangereux au général même si un doute subsiste sur sa régularité, Rui Costa, le champion du monde portugais très bon sur les courses d’une semaine mais plus en difficulté sur les grands tours, ou encore Bauke Mollema et Jurgen Van den Broeck, légèrement décrochés. Sauf échappée fleuve, la victoire devrait se jouer entre eux et…
Un tour des Français?
Trois Français! Blel Kadri avait lancé les festivités en remportant en solo une étape avant que Tony Gallopin ne revête le maillot jaune le lendemain, le temps d’un 14 juillet. Mais trois Français semblent capables de rivaliser avec les tous meilleurs au classement général: Romain Bardet (4e à 3 minutes 01 de Nibali) , Thibault Pinot (6e à 3 minutes 47) et Jean Christophe Péraud (8e à 3 minutes 57). Les deux premiers sont jeunes et particulièrement prometteurs. Ils devraient se battre jusqu’à Paris pour le maillot blanc, récompense pour le moins de 25 ans le mieux classé au général, mais un podium est désormais atteignable alors qu’aucun français n’y est parvenu depuis Virenque en 1997. L’avantage est à Bardet, très bien entouré au sein de la formation AG2R et co-leader avec le vétéran Péraud, 38 ans et encore toutes ses jambes, alors que Pinot, excellent grimpeur, semble bien esseulé au pied des montées, ce qui l’oblige à faire plus d’efforts et pourrait se payer cher en cas de pépin technique ou de défaillance . D’autres français pourraient également participer à la fête, notamment les deux Europcar Pierre Rolland et Thomas Voeckler qui semblent viser le maillot blanc à pois rouge de meilleur grimpeur même s’ils ne semblent pas être au mieux de leur forme. Un baroudeur pourrait également triompher alors que les équipes de sprinteurs commencent à fatiguer. Enfin, Arnaud Démarre et Bryan Coquard , deux grands espoirs du sprint français, pourraient rafler la mise.
Mais une chose est sûre: les Français, cantonnés depuis des années au rôle de gregario , seront des acteurs majeurs des prochaines étapes. On saura alors si parmi eux se trouvent de potentiels successeurs de Bernard Hinault susceptibles de mettre fin à près de 30 ans de disette côté français.
Aymeric Misandeau