Tour de France : bilan au soir de la seizième étape
Par Aymeric Misandeau | 22 Juil, 2014 • 18:00 Un commentaireAprès une première semaine mouvementée, on était en droit de penser que ce Tour en aurait fini des rebondissements mais les Alpes ont de nouveau redistribué les cartes. Et la première étape pyrénéenne montre que rien n’est joué alors qu’il reste encore deux grosses étapes de montagne et un contre-la-montre . Les coureurs devront batailler pour rallier les Champs Élysées. Bilan au soir de la 16e étape.
Le cyclisme anglo-saxon à la rue
Les abandons successifs de Mark Cavendish, le sprinteur de l’île de Man, et de Christopher Froome avaient douché les espoirs des britanniques, habitués ces dernières années à de grandes performances de leurs champions. La team Sky, britannique, faisait figure de rouleau compresseur puisqu’elle avait ramené ces deux dernières années le maillot jaune sur les Champs Élysées mais, même là, rien ne va plus. Après deux ans d’hégémonie sur le Tour, la Sky est rentrée dans le rang. On ne verra donc pas comme les années précédentes le train, ou plutôt la fusée Sky, emmener le peloton dans les étapes d’altitude. Souvent comparée à l’US Postal de Armstrong, et de ce fait impopulaire,le manager de l’équipe, Dave Brailsford, expliquait la supériorité de son équipe par des innovations technologiques. Mais ce Tour prouve que la technologie ne suffit pas : il faut une tête, des jambes et un soupçon de chance.
Après l’abandon de Froome, tous les espoirs de l’équipe au classement général s’étaient reportés sur l’Australien Richie Porte, fidèle lieutenant de Froome en montagne. Mais, alors qu’il s’était installé sur la seconde marche du podium, le leader de substitution de la Sky a littéralement explosé lors de la première étape alpestre, victime d’une fringale lors de cette étape marquée par le retour de la chaleur, qui a beaucoup fatigué les coureurs après une première partie de Tour froide et humide. Sky, cet ovni qui avait réussi à transformer Wiggins le pistard en grimpeur et l’inconnu Froome en vainqueur de Tour, a donc échoué à métamorphoser Porte. Comme un symbole, le premier vainqueur d’étape britannique sur le Tour, Brian Robinson, a été victime d’un accident. Reste à savoir si la contre performance de la Sky sur cette Grande Boucle est elle aussi un accident ou simplement le signe annonciateur d’une équipe sur le déclin.
Les Anglais hors course, restaient encore les Américains. Mais, depuis Lance Armstrong, aucun d’entre eux ne parvient à rayonner sur le Tour. Talansky faisait figure d’outsider après sa victoire au Dauphiné mais il a lourdement chuté et a du renoncer. Restait Tejay Van Garderen, très serein dans les Vosges et les Alpes. Classé 5e avant d’entrer dans les Pyrénées, il pouvait même postuler au podium mais il a laissé entrevoir des faiblesses inquiétantes au vu du profil des deux prochaines étape. Il a donc rétrogradé à la 6e place et le podium s’éloigne pour lui. Les prochains jours seront décisifs pour lui qui pourrait, s’il limite la casse, combler une partie de son retard dans le long contre-la-montre de samedi, un exercice dans lequel il excelle.
Nibali creuse l’écart
Vincenzo Nibali est bien l’homme fort de cette première partie de Tour. Aucun des coureurs présents dans le peloton ne semble avoir les capacités pour le déloger de la première place. Le Sicilien a relégué tous ses concurrents à plus de 4 minutes. Alejandro Valverde, 2e du classement général, est ainsi pointé à plus de 4 minutes 37 de Nibali. Le requin de Messine a prouvé une nouvelle fois qu’il n’est pas du genre à rester sur la défensive. Alors que nombre de leaders se seraient contentés de maintenir l’écart et de répondre aux attaques de leurs rivaux, lui a décidé d’écraser la concurrence en déposant tous les prétendants à la victoire finale dans les Alpes. Sauf chute, problème mécanique ou défaillance, il devrait donc ramener le maillot jaune à Paris et entrer dans l’histoire du cyclisme pour avoir réalisé le triplé Giro d’Italie, Tour de France et Vuelta d’Espagne.
Mais, marqués par les scandales de dopage de ces dernières années sur le Tour, beaucoup se sont montrés dubitatifs quant aux performances de Nibali, transparent depuis le début de la saison et impérial sur la Grande Boucle. Depuis l’affaire Festina, à tort ou à raison, le maillot jaune est systématiquement soupçonné de dopage lorsqu’il assomme la course . Sans doute la rançon de la gloire. Mais il faut dire que Nibali n’est pas aidé par la réputation pour le moins sulfureuse de son patron, Alexandre Vinokourov, et de son équipe Astana, régulièrement éclaboussés par des scandales de dopage.
Des poursuivants frileux
Mais sa domination est surtout due aux tactiques et faits de course. Si Chris Froome et Alberto Contador auraient certainement pu rivaliser avec Nibali et étaient de sérieux prétendants à la victoire finale, les leaders restants semblent s’être fait une raison : Nibali est trop fort pour eux. Aucun des leaders qui ont survécu à cette première semaine de galère n’affichait l’ambition de remporter le Tour au départ à Leeds, se cantonnant à espérer, selon les coureurs, un Top 10, un Top 5 ou podium. Tous semblent se contenter allègrement d’une lutte entre eux pour les places d’honneur. Alors qu’on aurait pu s’attendre à des alliances nouées entre équipes et à des attaques successives qui auraient obligé Nibali à s’employer pour ne pas laisser filer un adversaire dangereux au classement général, le scénario est bien différent et, à vrai dire, décevant. Résignés, les Valverde, Bardet, Pinot, Péraud, Van Garderen et consort se contentent de se marquer de près afin de préserver leur place au lieu de se lancer dans de grandes manœuvres qui auraient obligé Nibali à se découvrir et qui pourraient leur permettre de ravir le maillot jaune. C’est donc avant tout la course de neutralisation entre les candidats au podium qui fait le jeu d’un Nibali qui peut imposer son rythme. Les coureurs auront peut-être des regrets de ne pas avoir plus testé l’Italien alors que l’absence des deux cadors Contador et Froome offre une opportunité inespérée de monter sur la plus haute marche du podium. Le maillot jaune a pourtant semblé en difficulté lorsque Pinot a accéléré au cours de la 16e étape.
Quels enjeux d’ici Paris ?
Nibali hors de portée, Sagan quasiment sûr de remporter le maillot vert, le suspens ne concerne plus que deux maillots distinctifs : le maillot à pois de meilleur grimpeur et le maillot blanc de meilleur jeune. L’indécision reste totale pour le maillot à pois porté par Rafal Majka. Les Pyrénées, abordées cette semaine, seront le juge de paix pour ce maillot. Beaucoup peuvent encore prétendre à ce maillot et les attaquants seront à coup sûr gagnants puisqu’il faut passer en tête aux sommets pour capitaliser un maximum de points dans ce classement. En ce qui concerne le maillot blanc, la première étape pyrénéenne a vu Bardet lâcher le maillot au profit de Pinot. De nombreux baroudeurs devraient aussi tenter d’imiter Tony Gallopin, brillant vainqueur à Oyonnax après avoir résisté au retour du peloton.
Quel(s) Français sur le podium ?
Pour le podium, la lutte est plus que jamais indécise puisqu’aucun des concurrents ne semble à l’abris d’une défaillance. Tous se tiennent dans un mouchoir de poche. Valverde, 2e , a lâché dans les Alpes 30 secondes à Pinot et Bardet , 3e et 5e, mais a été plutôt rassurant dans les Pyrénées. Il devrait toutefois utiliser ses qualités de rouleur et son expérience pour rester sur le podium. Côté français, Pinot semble le plus à même de réussir l’exploit de succéder à Virenque. Supérieur à ses adversaires directs en montagne, il semble monter en puissance dans cette 3e semaine. Après avoir conquis le maillot blanc et la 3e place dans la 16e étape, il pourrait même gravir un palier supplémentaire à la faveur des deux prochaines étapes, alors qu’il est à priori capable de limiter la casse dans le contre-la-montre de samedi, juge de paix de ce Tour. Il a marqué les esprits sur ce Tour puisqu’il est le seul à avoir réussi à décramponner Nibali. En revanche, le podium s’éloigne pour Bardet victime d’un coup de moins bien dans les Pyrénées. Cette contre-performance n’augure rien de bon pour meilleur Français du Tour 2013 qui a perdu du temps sur son terrain de jeu favori car, très mauvais rouleur, il devrait encore perdre du temps sur ses rivaux lors du contre-la-montre . En revanche, tout va bien pour Péraud, qui a profité de la défaillance de son jeune coéquipier pour se hisser à la 4e place. Bon rouleur et régulier depuis le début du Tour, il devrait lutter avec Valverde, dont le profil est similaire, pour le podium. 2014 est un bon cru pour les français qui, après avoir raflé deux étapes, vont ramener un maillot blanc et, on en fait le pari, un podium à Paris.
Aymeric Misandeau
Très intéressant cet article et surtout très précis