Editorial – La France est en guerre et les chiffres du chômage ne font qu’augmenter mais ce sont « l’affaire Depardieu » et le débat sur le « mariage pour tous » qui ont semblé passionner les médias ces dernières semaines. Ces deux sujets méritaient-ils vraiment une telle couverture médiatique?
L’obsession médiatique pour « l’affaire Depardieu » et le « mariage pour tous »
Mi-décembre 2012, Gérard Depardieu décide d’acquérir une maison en Belgique pour y bénéficier d’un climat fiscal plus favorable. Objectivement, c’est son droit. Certes, cette décision semble être un acte politique – en réponse à la décision du gouvernement de mettre en place une taxation à 75% sur les hauts-revenus – de la part d’un personnage public qui n’a pas caché son soutien à Nicolas Sarkozy lors de l’élection présidentielle de 2012. Certes, d’aucuns pourraient trouver un tel déménagement moralement condamnable alors que la France connait la crise. Mais l’acteur n’a enfreint aucune loi et n’est certainement pas le seul à déménager pour cette raison.
Et pourtant, ce non-événement s’est rapidement transformé en une incroyable saga politico-artistico-médiatique. Par tribunes interposées, acteurs, réalisateurs et producteurs débattaient au sujet de la décision de Gérard Depardieu et donnaient leur avis sur les salaires des acteurs. Le Premier ministre lui-même n’a pu résister à la tentation de commenter l’affaire, relançant l’intérêt médiatique. Vladimir Poutine décidait alors d’en profiter pour faire un peu de communication en offrant à l’acteur un passeport russe. Le non-événement s’est transformé en feuilleton médiatique couvert par tous les médias internationaux.
Le départ de Gérard Depardieu pour fuir une disposition fiscale touchant une infime minorité des français – et censurée entre temps par le Conseil Constitutionnel -, n’est toutefois pas le seul sujet qui a occupé l’espace médiatique jusqu’à saturation. Le projet de loi sur le mariage et l’adoption pour les couples homosexuels a aussi fait l’objet d’un traitement médiatique exceptionnel, voire exagéré.
Depuis des semaines, les manifestations pour ou contre le projet de loi se multiplient et le sujet – porté, dans un camp comme dans l’autre, par des lobbys et des communicants efficaces – revient chaque jour dans les médias. Les médias multiplient les interviews, sujets et débats, où déclarations à l’emporte-pièce et exagérations se succèdent à un rythme effréné. Les dérapages de quelques individus profitant de la présence d’un tel sujet dans l’actualité pour déplacer le débat sur le terrain de l’homophobie, d’un côté, ou de l’anticléricalisme, de l’autre, ne font que compliquer une question de société qui mériterait une réflexion posée et un dialogue sain. Une telle couverture médiatique – BFM-TV aurait dépêché une vingtaine de journalistes et quatre cars-régie pour couvrir la « Manif pour tous » – alliée à des zones d’ombre, sur la PMA par exemple, provoquent une cacophonie indigeste.
Et la crise dans tout cela?
Et pourtant, ces deux faits d’actualité méritaient-ils une telle place dans les médias?
Ces derniers mois, les chiffres du chômage n’ont cessé d’augmenter, pas une semaine ne passe sans qu’on entende parler d’une entreprise en difficulté, les prix continuent à grimper. Ces sujets paraissent parfois un peu délaissés par rapport aux deux débats évoqués précédemment. Ils correspondent pourtant plus aux préoccupations majeures des Français. En effet, selon le baromètre des préoccupations des Français (effectué en décembre 2012 par TNS-Sofres pour Le Pélerin), les principaux sujets d’inquiétude des Français sont le chômage, le pouvoir d’achat et les retraites.
Les polémiques entretenues sur le départ d’un acteur ou sur un projet de loi sur le « mariage pour tous » détournent provisoirement l’attention de la crise mais ne la résolvent en rien. D’autant plus que les projets de loi provoquant ces débats, projets de loi dont le gouvernement sait pertinemment qu’ils sont clivants, ne semblent pas avoir fait l’objet d’une réflexion et d’une préparation en profondeur, comme en témoignent l’échec de la taxation à 75% des hauts revenus ou l’indécision gouvernementale concernant la PMA.
Un moyen pour le gouvernement de tenter de masquer son impuissance face à la crise?
Photo: Ycare [CC-BY-SA-3.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)], via Wikimedia Commons