Comme chaque année, inlassablement, la rentrée littéraire surcharge nos librairies de nouveaux ouvrages — cinq cent quatre vingt neuf, pour être exact. Difficile de faire un choix parmi cette pléthore d’ouvrages et d’auteurs, connus et inconnus. C’est pourquoi Parlons Info vous propose d’en découvrir un en particulier, et non des moindres : Les Folles Espérances d’Alessandro Mari, un roman d’une immense force et d’une profondeur rare.
Raconter une œuvre littéraire sans en dévoiler le contenu n’est pas une chose aisée, mais soyez rassurés : nous ne vous dévoilerons rien de l’intrigue pour que vous puissiez la découvrir — et l’apprécier ! — par vous-même. Après vous avoir parlé, l’an dernier, du roman Les Noirs et les Rouges d’Alberto Garlini et de l’Italie meurtrie des années 1968, l’ouvrage de Mari nous fait découvrir cette fois-ci une toute autre époque de l’histoire transalpine : celle de la première moitié du XIXème siècle. Cette période, qui débute en 1837 dans le roman, est celle d’une Italie qui n’est pas encore unifiée et où Milan, Rome et Turin appartiennent chacune à un royaume différent. La plume de l’auteur donne vie à quatre personnages principaux que nous suivons dans leurs vies, et notamment dans celle de Giuseppe Garibaldi, un personnage historique fameux de l’histoire italienne. Ces personnages, tous profondément différents, semblent mus par une force irrésistible et implacable, peut-être celle de la jeunesse, mais certainement celle de la vie.
Une galerie de personnages plus vivants les uns que les autres
Pour un premier roman, Alessandro Mari n’a pas cherché la facilité, loin s’en faut. Au lieu de s’en tenir à un seul personnage principal, le jeune auteur italien nous en offre quatre, quatre personnages magnifiques et complets, aux sentiments et aux passés complexes. Le premier personnage de l’œuvre est également celui avec laquelle elle se conclut. Colombino — ou le trimballe-merde, son surnom dans le village — est un jeune paysan d’une simplicité et d’une naïveté désarmante. Orphelin, il vit avec Don Sante — l’abbé du village — dans une petite église. Ce personnage, maladroit mais attachant, s’est épris de Vittorina, une belle jeune fille vivant dans le même bourg que lui, celui de Saconnago.
Lisander — ou l’inégalable portraitiste — est un peintre très talentueux. Image même de l’artiste débrouillard, le jeune homme plein de charmes ne recule devant rien pour assouvir ses désirs et ses ambitions. Ce personnage, romantique au possible, poursuit le rêve de devenir riche et voit dans le daguerréotype — un ancêtre de l’appareil photo — le moyen d’atteindre son objectif. Lisander est également follement amoureux d’une belle prostituée, Chiarella. Grand cynique et arriviste, le portrait de Lisander n’est pas flatteur. Le personnage révèlera pourtant toute sa profondeur au fil des pages du roman, gagnant en humanité et en maturité.
Leda, elle, est certainement le personnage le plus fascinant de cet ouvrage tant son histoire — au début, du moins — est auréolée de mystère. Alessandro Mari nous la présente comme résidente forcée d’un couvent romain nommé le « Bon-Pasteur ». Emmurée dans un silence de façade qui lui attire l’hostilité de ses co-détenues, la jeune femme tente de ne pas perdre pied et de garder l’espoir d’une sortie future. Pourtant, plus que l’envie de s’évader de sa prison religieuse, c’est l’envie désespérée d’avoir des nouvelles de Lorenzo qui lui fait tenir bon, jour après jour. Finissant par se trouver une amie et une confidente, la jeune femme fomentera une évasion, dans l’espoir fou de retrouver celui qu’elle aime.
Vient enfin le dernier personnage, et non le moindre : Giuseppe Garibaldi, ou dom José. Nous rencontrons ce personnage alors qu’il vogue vers le Brésil, animé d’une douce mélancolie alors qu’il se remémore les souvenirs des formes de sa maîtresse génoise. Condamné à mort à Gênes, il ne peut y retourner et se dirige donc vers l’Amérique du Sud afin d’y mener ses combats. Ce personnage historique est animé d’une passion brûlante pour la vie, pour l’amour et pour la république. Les combats qu’il mène auprès des brésiliens construiront et nourriront sa lutte pour l’unification de l’Italie. Son amour pour Aninha, une voluptueuse brésilienne, constituera également un véritable moteur pour le jeune homme.
La vie, la jeunesse et la liberté : le triptyque de Mari
Ce roman frappe par son dynamisme, il n’est rien d’autre qu’une grande marche vers l’avant, sans retour possible. Chaque personnage évolue à sa manière et se transcende par rapport à sa situation initiale. Colombino en est l’exemple le plus frappant. Le jeune homme, quoique parfois philosophe, est assez stupide : réfléchir trop intensément lui provoque même des saignements de nez et des évanouissements. Loin d’être armé pour faire face au monde, Colombino fait pourtant preuve d’une détermination qui tranche particulièrement avec sa nature simpliste et candide. Lorsqu’il entreprend de partir à Rome, après avoir perdu ses repères, dans l’espoir d’obtenir la bénédiction du Pape pour épouser Vittorina, le jeune homme le fait sans emporter de provisions alors que l’automne s’apprête à céder place à l’hiver. Ce sont ses amis qui le rattraperont sur la route pour lui donner victuailles et couvertures, l’empêchant ainsi de mourir de par son inconscience. En cela, ce personnage rappelle fortement le don Quichotte de Cervantès et le Candide de Voltaire, que ce soit dans son rapport au monde ou dans sa façon d’exprimer ses sentiments. On ressent une fougue, une animalité et une grande humanité chez ce personnage, gauche mais attachant, qui paraît ridicule mais qui est simplement honnête et plein de sincérité.
Leda, Lisander et Giuseppe, eux, n’ont pas cette simplicité et cette inexpérience. Lisander vit de l’ambition de devenir riche et de l’espoir de pouvoir subvenir aux besoins de Chiarella pour qu’elle arrête de se prostituer. Cette idée est d’ailleurs une obsession pour le jeune homme qui souffre de la voir exercer pareille profession. Cette souffrance, c’est celle d’un égo blessé — il ne veut pas avoir à la partager — mais également celle d’un amoureux transi prêt à tout pour sa belle. Cette souffrance, c’est la passion démesurée, implacable qui foudroie tout sur son passage. Giuseppe Garibaldi est animé de cette même passion qui le pousse à se mettre en danger dans chaque bataille, qui le pousse à vivre sans cesse avec cette étincelle de danger tellement grisante mais qui, fatalement, finit par coûter cher à celui qui ne sait la réfréner. Leda est, elle aussi, animée par une grande passion, mais à la différence des autres personnages, elle sait l’intérioriser. C’est certainement cela qui fait d’elle le personnage le plus fort du roman, et aussi le plus passionnant.
Conclusion
Il est difficile de revenir sur une telle œuvre tant elle est fascinante et colossale. Alessandro Mari, pour un premier roman, nous fait voyager jusqu’au XIXème siècle dans un ouvrage profondément ancré dans l’histoire mais sans tomber dans le piège de se faire historien. Les faits rapportés sont réels mais sont fortement romancés. Il est toutefois important de rappeler que si histoire et fiction cohabitent, cette dernière, bien loin de corrompre la première, la sublime au plus haut point.
En lisant ce roman, il faut voir au travers de ces quatre personnages la métaphore de l’Italie naissante. Lorsque l’on fusionne Colombino, Leda, Lisander et Garibaldi, on obtient l’Italie réunifiée, pleine de romantisme, de vie mais aussi de doutes et d’incertitudes. La passion est un moteur, une énergie folle que l’on ne peut contenir est qui ne demande qu’à éclater, que ce soit par l’art, les idées mais également, d’une façon plus intense encore, par le biais de l’amour. Le quatuor de Mari aime intensément, désespérément jusqu’à se perdre. Cette force est également une faiblesse et symbolise la jeunesse, pleine de force mais encore inexpérimentée, pleine d’une énergie qu’elle n’arrive pas encore à canaliser.
L’écriture magistrale de l’auteur — admirablement bien retranscrite par la sublime plume de la traductrice de l’œuvre, Anna Colao — nous transporte de ville en ville, nous fait ressentir la moindre bourrasque de vent, le moindre cahot de la charrette sur les routes défoncées allant même jusqu’à retranscrire les différentes façons de s’exprimer des personnages selon leurs milieux sociaux, de la bourgeoisie milanaise au franc-parlé paysan de Lombardie. Ce roman polyphonique d’une richesse infinie est un véritable chef d’œuvre, une incursion soudaine dans un passé lointain au travers d’une écriture moderne et raffinée. Alessandro Mari signe ici un monument de la littérature contemporaine, et c’est d’autant plus admirable pour un premier ouvrage.
Les Folles Espérances d’Alessandro Mari est disponible chez vos libraires aux éditions Albin Michel.
Simon Sainte Mareville
cela donne envie de lire ! mais n’oubliez pas de citer la traductrice, qui a sûrement réalisé un travail titanesque !
Très bonne remarque, j’ai effectivement oublié de le faire. Merci à vous !