Les scandales fleurissent depuis le début de l’année et viennent ombrager le monde du sport.
Dopage, révélations, truquages, corruption. En ce début d’année 2013, le sport n’est pas à la fête. Et c’est peu dire. Des affaires extrêmement graves font surface. La nouveauté, c’est qu’elles ne sont plus seulement la propriété d’un sportif ou d’un club, mais sont à échelle planétaire. Après le « Qatargate », révélé par le magazine France Football, voilà qu’un réseau criminel est soupçonné d’avoir truqué pas moins de 680 matches de football à travers le monde, dont 380 en Europe, avec des rencontres de la prestigieuse Ligue des Champions concernées.
L’Office européen de police Europol a également des matches comptant pour les éliminatoires de la Coupe du Monde dans le collimateur. Joueurs et arbitres auraient touché en liquide des sommes allant jusqu’à 100 000 euros. 425 responsables auraient été identifiés. Le réseau criminel, dirigé depuis Singapour, a empoché plus de 8 millions d’euros pour 16 millions de mise au total. Au-delà de l’Europe, 300 autres matches arrangés se seraient disputés en Afrique, en Asie et en Amérique latine.
Il est déjà loin le temps où les journalistes n’avaient qu’un Nikola Karabatic à se mettre sous la dent. Quel battage médiatique pour un pari sur un match sans enjeu – le dernier du championnat pour une équipe de Montpellier déjà assurée d’être championne – et auquel le handballeur français n’a pas pris part. Il n’est pas sûr que les journaux aient manifesté autant d’intérêt à son égard lorsqu’il a été nommé meilleur joueur de l’année en 2007 par la Fédération internationale de handball. Mais comprenez bien, le scandale fait vendre.
Armstrong, procès Fuentes, « Qatargate », matches truqués : les affaires s’accumulent
Aujourd’hui, les scandales prennent une tout autre dimension. Et la logique veut qu’on en parle. Le risque serait plutôt qu’ils viennent à être étouffés par des acteurs hauts placés et de puissantes instances. Dans l’affaire du « Qatargate », comme pour les soupçons de corruption qui règnent autour de l’attribution des Jeux Olympiques par le CIO¹ (Comité international olympique), les enjeux sont si considérables qu’il est difficile de ne pas envisager des pressions en coulisse.
Le Qatar, pays peu réputé pour les grandes affluences dans ses stades de football, l’est plus en revanche pour les 40 degrés à l’ombre qu’il peut y faire en été. L’Emirat s’est ainsi vu octroyer la Coupe du monde 2022 alors qu’il n’a rien du profil idéal pour organiser ce genre d’événement. France Football a révélé il y a une semaine les raisons qui expliqueraient un tel choix. Une réunion secrète aurait changé la donne. Le 23 novembre 2010, une dizaine de jours avant le vote de la FIFA, le président de la République Nicolas Sarkozy aurait convié au palais l’Elysée le prince du Qatar Tamin bin Hamad al-Thani, le président de l’UEFA Michel Platini et le représentant de Colony Capital, alors propriétaire du PSG, Sébastien Bazin. Le rachat du Paris Saint-Germain et la création de la chaîne de sport BeIn – afin de concurrencer Canal + que M. Sarkozy souhaitait fragiliser – auraient été obtenus des Qataris en échange d’un vote de M. Platini en faveur du Qatar.
Le président de la puissante UEFA s’est empressé de démentir cette version des faits livrée par le journal. Quant au club de la capitale, il semble désormais plus préoccupé par sa nouvelle recrue, David Beckham, ô combien compétitif à l’âge de 37 ans. Coup marketing ou coup de communication ? Les deux semblent au rendez-vous. D’autant que le salaire du Spice Boy sera intégralement reversé pendant ses cinq mois de contrat à des associations d’aide à l’enfance. David Beckham pourrait bien servir à faire oublier le « Qatargate » et à redorer l’image de l’Emirat.
Dans la série des révélations, la planète vélo est particulièrement à l’honneur en ce début d’année. Les récents aveux de Lance Armstrong n’ont fait que confirmer les accusations de dopage qui le poursuivaient depuis des années. Le coureur texan est déchu de tous ses titres depuis août 1998, dont ses sept tours de France, et se retrouve suspendu à vie de toute compétition sportive. Le scandale pourrait ne pas s’arrêter là, car l’Agence américaine antidopage (Usada) a montré dans son rapport détaillé sur le système Armstrong, publié en octobre, que l’Union cycliste internationale (UCI) avait au mieux fermé les yeux sur les pratiques du coureur, et serait au pire complice. Le cycliste danois Michael Rasmussen a pour sa part reconnu s’être dopé pendant douze ans au moment d’annoncer l’arrêt de sa carrière, le 31 janvier. Il aurait depuis fourni des noms d’autres coureurs dopés à l’Agence antidopage néerlandaise. Contrôlé positif à un diurétique sur le Tour de France 2012, le cycliste luxembourgeois Fränk Schleck a lui été condamné à un an de suspension avec effet rétroactif.
Dans le monde du cyclisme, le procès Fuentes fait également grand bruit. Le docteur Eufemiano Fuentes est impliqué dans un vaste réseau de dopage sanguin et compare pour délit contre la santé publique. L’affaire remonte au printemps 2006, lorsqu’est révélée l’opération Puerto, organisée depuis Madrid. A son premier jour d’audition, le docteur Fuentes a déclaré avoir travaillé avec « tout type de sportifs » avant 2006, comme « des footballeurs, des athlètes, des joueurs de tennis, des boxeurs ». La juge espagnole Julia Patricia Santamaria ne lui a pas encore demandé les noms de ses clients qu’il était pourtant prêt à fournir. Le club de football de la Real Sociedad en ferait partie. Il figurerait dans les documents saisis en 2006 par la police sous l’inscription « Rsco ». Iñaki Badiola, à la direction du club basque en 2008, a de son côté assuré que la Real Sociedad avait eu recours à des produits dopants entre 2001 et 2008, et que des médecins étaient payés de manière occulte.
Les soupçons de dopage dans le football ne datent pas d’aujourd’hui. Mais contrairement au cyclisme, de plus en plus encadré, les contrôles antidopage demeurent peu fréquents dans ce sport. Les instances dirigeantes ne semblent pas prêtes à faire le ménage. Le mutisme règne en maître. Peut-être parce qu’il n’y a simplement pas de problème de dopage dans le football. Ou peut-être parce que le scandale serait si énorme et impliquerait tant de joueurs, de stars, de clubs et de hauts responsables, que personne n’ose le révéler.
Comment faire encore confiance au sport professionnel ?
Toutes ces affaires, tous ces scandales ternissent l’image du sport. Jusqu’à quel point nos sportifs sont-ils dopés ? Jusqu’à quel stade la corruption gangrène-t-elle les grandes instances du sport ? Tricherie, malhonnêteté et hypocrisie semblent monnaie courante. Comment se fait-il qu’une quinzaine de personnes seulement puissent décider de l’attribution des Jeux Olympiques, un des plus grands événements sportifs de la planète ? Le Comité international olympique est en effet très restreint et choisit ses membres par cooptation. Etant une organisation non gouvernementale, les Etats ne peuvent en élire les dirigeants. Et c’est bien l’opacité qui semble le mieux caractériser cette instance.
Comment se fait-il aussi que l’arbitrage vidéo tarde tant à prendre place dans les surfaces de réparation des terrains de football ? Il serait trop compliqué à mettre en œuvre ou dénaturait le football selon Michel Platini. Mais peut-être qu’une fois la vidéo installée, il sera surtout plus difficile de truquer les matches.
Face au dopage, les défis semblent immenses. L’ancien footballeur professionnel Vikash Dhorasso, qui se confie dans les pages du Monde, souligne à quel point il peut être difficile de résister : « Mais qu’aurais-je fait si, avant la finale de la Coupe du monde, on m’avait imposé une petite pilule magique ? Qu’aurais-je fait si on m’avait dit : « Prends ce produit, il va changer ton destin et celui de tes proches ! » J’espère que j’aurais dit non, mais finalement je ne sais pas. » Selon lui, refuser le dopage, c’est accepter son inconstance, ses contre-performances, quitte à perdre sa place de titulaire. Le milieu ultra concurrentiel dans lequel baignent les sportifs professionnels les incite à tout faire pour rester au meilleur niveau, jusqu’à la prise de produits dopants illicites.
Le dopage nuit pourtant à la santé. La prévention, l’éducation, la responsabilisation peuvent paraître dérisoires mais sont peut-être les seules solutions en amont pour prévenir le dopage des sportifs. A nous aussi, spectateurs et téléspectateurs, d’accepter que les prestations de nos joueurs, nos athlètes, nos coureurs, soient parfois moins abouties, moins grandioses.
Le sport est mis à mal en ce début 2013. Mais s’il faut des scandales pour qu’il soit plus propre, plus honnête, plus vrai, alors faites qu’il y en ait tout le reste de l’année.
Thomas Chenel
¹Le Comité international olympique fait parti des grandes instances du sport dont l’intégrité est souvent mise en doute. Des questions restent régulièrement en suspens lors des attributions des Jeux Olympiques. Pour 2012, les JO tendaient les bras à Paris. Et pourtant, c’est Londres qui les a emportés, au dernier moment. Il est de notoriété publique que des « arrangements » ont lieu, à la limite de la corruption. Mais tant que l’on n’a pas de preuves tangibles, il est difficile d’affirmer et d’accuser. D’autant que s’attaquer à une organisation aussi puissante que le CIO est loin d’être chose aisée.