Premier long-métrage du réalisateur belge Antoine Cuypers, Préjudice nous plonge dans l’enfer d’un repas de famille plein de tensions et de secrets.
Théâtre familial
Un jeune homme est assis à son bureau. De dos, on le voit observer un mur au papier peint kitsch, représentant un décor autrichien fait de montagnes et de forêt. Il rêve à son voyage en écoutant des chants tyroliens, dans sa bulle et coupé du monde. Au rez-de-chaussée la soirée familiale se prépare. Tandis que la mère (Nathalie Baye) s’affaire à préparer le repas, le père (incarné par le chanteur Arno) s’occupe de leur fils. Papa poule protecteur et maladroit, il coupe les cheveux de son fils et lui prépare son bain avant l’arrivée des invités. Cette courte introduction pose les bases du récit et dévoile les relations liant les trois personnages : un père aimant et surproducteur ; un fils inadapté et solitaire ; une mère angoissée qui essaye malgré tout de maintenir des apparences de normalité.
Au fil du récit le tableau se complète et accueille de nouveaux protagonistes. Cette soirée de retrouvailles entre les trois enfants du couple Cédric, Caroline et Laurent ; est aussi celle des révélations. Pour cause, Caroline attendait avec impatience cette rencontre pour annoncer un heureux événement : elle est enceinte. Cette nouvelle suscite les réactions les plus diverses, que ce soit la joie sincère et fière de sa mère, la retenue émue de son père mais aussi le lourd silence de Cédric. L’annonce est l’élément déclencheur d’un cataclysme sentimental pour ce frère en mal d’attention. Il ne cessera dès lors de questionner sa place au sein de cette famille qui l’a laissé pour compte.
Un huis clos oppressant
L’annonce de Caroline marque une rupture dans le récit tant dans les dialogues que dans l’atmosphère – déjà pesante – du film. Cette rupture est aussi signifiée par un changement de décor. Pour cause, le repas est interrompu par l’irruption d’une pluie torrentielle, obligeant les personnages à rentrer dans la maison. La mise en scène est ici contestable parce que lourde dans sa forme ; un long ralenti tente d’esthétiser un passage d’où ne ressort qu’une criante lourdeur.
Après s’être réfugiés à l’intérieur, les membres de la famille reprennent discussions et repas. Toutefois, les craintes de Caroline se révèlent être vraies : Cédric ne lâche pas l’affaire et ramène tout à lui. Cette réunion est l’occasion pour son jeune frère d’évoquer ses traumatismes passés mais aussi ses espoirs futurs. Il souhaite partir en Autriche avec son père pour s’émanciper et concrétiser un savoir théorique longuement travaillé. Son enthousiasme effraie et la situation s’envenime rapidement.
Devant cet homme-garçon se dresse la figure de la mère, à la fois dominante et fragile ; autoritaire et apeurée. Nathalie Baye incarne ici une femme pleine de caractère mais brisée par des années de combat contre ce fils jugé anormal et inadapté. L’actrice, ici pleine de force et de charisme, construit au fil du récit un personnage plein de contradictions et de failles. Impuissante à comprendre son fils, cette mère désarmée rejette toutes les tentatives de ce dernier pour se « normaliser ». Entre les deux personnages se confondent haine et amour ; sentiments retranscrits dans des dialogues pleins de détresse. Leur confrontation sourde et perpétuelle empoisonne le repas et crée une tension bien palpable pour le reste de la tablée comme pour les spectateurs. Une des forces de ce film réside dans ces deux acteurs et notamment dans la performance saisissante et complexe que nous offre ici Thomas Blanchard.
Qu’est-ce que la normalité ?
En effet, l’acteur incarne ici un personnage compliqué, à la fois touchant et agaçant qui n’arrive pas à trouver sa place au sein d’une famille l’ayant toujours rejeté. Alors que sa sœur s’offusque de ne pas être au centre de l’attention, Cédric tente de se confier et ruine par là même l’annonce de Caroline. Devant cet affront, la jeune femme se fait plus incisive et pointe la différence la séparant de son frère. Cette confrontation soulève une question essentielle qu’est celle de la normalité. Alors qu’il a toujours été enfermé dans cette famille à la fois protectrice et handicapante, Cédric souhaite comprendre ce qui le distingue des siens. Ces derniers ne savent que répondre face à ses accusations et rejettent tour à tour la faute sur lui. De ces dialogues intrigants ne ressort malheureusement qu’un lourd sentiment de malaise qui écrasent personnages et spectateur sans apporter de réponse aux questionnements du jeune homme. Cette paradoxale absence d’aboutissement, bien qu’ennuyante et frustrante, représente toutefois avec beaucoup de justesse l’éternelle souffrance de ce personnage incompris. Alors qu’il s’est enfin confronté aux siens, Cédric ne trouve pas réponse à ses tourments et doit se contenter d’un cruel silence.
Construit sur un intrigue simple et pourtant très intéressante, Préjudice peine à se rendre captivant. Au cours de l’œuvre, Cédric évoque ses peurs, tant relatives à ses proches qu’au lieu dans lequel il vit. Une tension se dégage des dialogues mais aussi de la mise en scène qui explore progressivement les recoins de la maison et révèlent de curieuses situations. A travers ces différents passages, Antoine Cuypers crée un sentiment de malaise et de mystère qui intrigue le spectateur. Toutefois, les questions ne sont que dispersées ça et là ; et ne trouvent jamais de réponses. Le film, à force de longueurs en perd ses spectateur et intérêt. Présenté par Transfuge comme « un Shining belge », ce premier-long est décevant de par sa platitude et l’ennui qu’il procure. A retenir cependant : la performance de Thomas Blanchard qui déploie avec prouesse tout son talent d’acteur ainsi que Nathalie Baye incarnant à la perfection cette mère à la fois sans pitié et pleine de détresse.
Camille Muller