Le 4 juin prochain, l’Association Végétarienne de France (AVF) revient avec une nouvelle édition de son Défi Veggie. Une équipe de vingt-cinq personnes a décidé de manger végétarien pendant trois semaines. Pour l’occasion, intéressons-nous aux régimes alimentaires excluant les produits d’origine animal. Souci environnemental, de santé ou encore du bien-être animal, partons à la découverte de ceux qui ont décidé de manger autrement…

 

Touche pas à mon animal!

La plus connue des alimentations sans viande est le végétarisme. Cependant, il existe des alternatives plus variées qu’être seulement végétarien. Différent d’un individu à l’autre, on peut tout à fait dire qu’il y a autant de végétarismes que de personnes végétariennes.

  • Le pescétarien ou pesco-végétarien est une personne ne consommant plus de chaire animale, mais s’autorisant tout ce qui est poisson et crustacée.
  • Le pollotarien est une personne ne consommant plus de chair animale, à l’exception de la volaille.
  • Le flexitarien est une personne adoptant une alimentation principalement végétarienne, tout en s’accordant des exceptions.
  • Le végétarien est une personne excluant tout chaire animale
  • Le végétalien est une personne excluant toute chaire animale, ainsi que les produits laitiers et les œufs.
  • Et le végane est une personne excluant tout produit d’origine animale, allant de la chaire de ceux-ci, au produit issu de leur exploitation (les produits laitiers, le miel ou encore le cuir et les cosmétiques testées sur les animaux)

 

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Crédit: Thalie O’Brun – CC BY-NC-ND 2.0

 

Dans les contrées hindouistes, ne pas manger de viande prend origine dans des convictions spirituelles, car la nature et les animaux y sont vénérés. Dans les milieux occidentaux, le régime omnivore est beaucoup plus répandu et l’adoption de ces régimes sans viande est beaucoup plus récente. Mais avec la multiplication des scandales liés à l’industrie agroalimentaire, le grand public se met à avoir des doutes quant à ce qui se trouve dans ses assiettes. Le grand électrochoc fut l’affaire de la viande de cheval dans les plats préparés en 2013. Plus récemment, ce sont les conditions d’abattage qui sont dans le collimateur. Des vidéos tournées dans des abattoirs de France font le tour d’Internet, montrant de façon cru l’histoire de nos steak hachés.

Aujourd’hui, la cause rassemble de plus en plus de convertis, comme Reana, 28 ans, chef de projet digital dans une boîte de com’, végane depuis un peu plus d’an. Alors qu’elle se pose des questions sur sa consommation de viande, elle tombe sur le film Cowspiracy, traitant de l’impact de l’élevage et de la pêche sur l’environnement. « Les grands groupes industriels s’arrangent pour ne pas en parler (de l’impact environnemental ; ndlr) et nous dise qu’on doit consommer toujours plus de produits issus de cette industrie. Ce film m’a mis une vraie petite claque. » commente-t-elle. Depuis, sa vision des choses n’est plus la même et cela ne s’arrête pas qu’à l’alimentation : « Quand je vois un beau sac et que je vois qu’il est en cuir, et pareil pour les chaussures, ça me fait quelque chose de me dire que c’est la peau d’une vache. »

Au-delà de la souffrance animal, d’autres facteurs ont doucement commencé à peser sur la balance : la protection de l’environnement. L’impact de l’exploitation animale sur l’environnement est en effet assez impressionnant : monopolisation des surfaces agricoles, énorme production de gaz à effet de serre, gaspillage et pollution de l’eau ou encore déforestation. Les images de l’association L214 parlent pour elles-mêmes….

 

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Je mange cru donc je suis

Un autre mode d’alimentation, beaucoup moins connu que ses cousins végétariens, conseille souvent d’exclure la viande : le crudivorisme. Ce régime alimentaire est différent en le sens qu’il préconise de manger tous les aliments… crus. Avant de parler d’intoxication alimentaire et autres salmonelloses, il faut prendre en compte que les produits que consomment les crudivores sont différents de nous autres consommateurs omnivores. Des fruits et légumes majoritairement et même de la viande en tartare pour certains. En effet, il existe plusieurs types de crudivores :

  • Le crudi-omnivore est une personne mangeant « vivant », mais inclut également des produits d’origine animale et poissons dans leur régime (toujours cru) et des produits au lait cru.
  • Le crudi-végétarien/végétalien est une personne mangeant vivant, mais que des végétaux.
  • Le granivore est une personne consommant surtout des graines.
  • Le frugivore est une personne consommant surtout des fruits.
  • Et le liquidarien est une personne consommant surtout des jus.

A l’origine, ce régime viendrait d’une communauté juive essénienne, qui deux siècles avant JC, avait adopté ce mode de consommation vivant. Communauté très pieuse et fermée, ses pratiquants devaient abandonner tous leur bien pour y entrer. Plus récemment, le crudivorisme s’est popularisé au XXème siècle par Ann Wigmore et Viktoras Kulvinskas, deux nutritionnistes américains. C’est un régime plein de contraintes, mais il trouve ses adeptes, comme Camille et Thomas par exemple. Ils ont entendu parlé de ce régime par des amis et ont décidé de tenter leur chance. « On s’est dit qu’on allait essayer un jour. On a mangé tout cru, des fruits et de la salade surtout. On a senti des bons effets et on a plus arrêté. On a testé et approuvé ! » s’amuse-t-elle.  Camille est journaliste et Thomas boulanger (paradoxalement). Ils étaient de grand fan de junkfood, avant de se lancer dans l’aventure crudivore. Ils disent adieu aux plats de pâtes ou encore au pain et autres viennoiseries. Pas de plats cuisinés, plus de plats surgelés… Le changement est radical et ça se sent dans leurs achats : « Ça a eu un impact direct. On est allé acheter des graines, des noix, des trucs que tu ne trouves qu’en magasin spécialisé. On a commencé à manger bio et à ne plus du tout aller en supermarché. »

Sur la toile, des blogs et vlogs crudivores se développent, avec des recettes et astuces pour s’encourager dans cette voie. Camille et Thomas sont d’ailleurs les heureux propriétaires de la France crue, qui comptabilisent 11 880 « J’aime » sur Facebook. L’année dernière, ils se sont mêmes lancés dans un tour de France des crudivores. « Une fois qu’on a testé, on a eu envie de rencontrer d’autres gens qui mangeaient comme ça. C’est quelque chose dont on ne parle pas trop dans les médias. On s’est dit waouh, il y en a d’autres. Il faut aller les rencontrer » explique Camille enthousiasmée.  « Tour de France des crudistes ! »

Effectivement, par rapport au végétarisme, le crudivorisme est encore une mouvance marginale. Même si la plupart d’entre eux ne consomme pas de produits d’origine animal, le crudivorisme est dissocié du végétarisme. Cela est dû à ces aspirations plus hygiéniste que militante. Camille est bien claire là-dessus : « On n’a rien à revendiquer. Ce n’est pas du militantisme. C’est plus des démarches isolées, les gens le font un peu pour eux-mêmes. »

D’un autre côté, on note un profond désir de reprise en main de sa santé et de son hygiène de vie. L’envie d’aller à contre-courant du modèle alimentaire moderne, où on va toujours se procurer en supermarché, haut lieu de l’assouvissement des besoins du consommateur. Une façon de résister à l’industrie agroalimentaire qui nous pousse à consommer toujours plus. Une volonté de retour à l’essentielle peut-être ? : « C’est un engagement dans ton quotidien. Tu vas appliquer des principes auxquels tu crois. Reprendre ton autonomie et ta santé en main. »

 

Et la santé dans tout ça?

Les premières remarques que reçoivent les personnes à l’alimentation « différentes » sont souvent lié à la santé. Mais à écouter notre végane et notre crudivore, elles ne se sont jamais aussi bien portées. « Ma digestion est clairement plus normale. Avant, j’étais souvent ballonnée avec des difficultés à digérer, mais je ne m’en rendais pas compte. Je pensais que c’était normal. » confie Reana. C’est une fois les inconforts disparus quelle s’est aperçu qu’avant ça n’allait pas. Quant à Camille, même constatation : « J’avais des maux de dos avant et ça s’est arrêté. Thomas (ndlr ; son petit-ami) a perdu trente kilos en peu de temps… Tous les petits soucis chroniques ont disparu, les migraines, le nez qui coule… » explique-elle. Pour couronner le tout, elle ajoute avoir réaliser des prises de sang qui se sont avérés normaux. Tout était nickel. Le cholestérol du boulanger disparu et la moyenne partout. « D’ailleurs, on n’a pas vu de médecin depuis deux ans. » conclut-elle.

 

Credit: cristian - CC BY-NC-ND 2.0

Credit: cristian – CC BY-NC-ND 2.0

 

Leurs réponses sont au diapason avec l’analyse d’Emeline Bacot, jeune diététicienne- nutritionniste. Pour la spécialiste, tout est question d’équilibre. « Les carences seront principalement en fer, éventuellement en protéine, mais il faut vraiment pousser le bouchon. Comme pour n’importe quelle alimentation, il suffit d’équilibrer. » explique-elle. En effet, une alimentation omnivore avec viande et poisson qui est mal équilibré, peut aussi créer des carences ou autres effets pervers. Le cholestérol en est l’exemple le plus probant. Selon les chiffres du Bulletin Epidémiologique de 2013, un Français sur cinq présenterait un excès de cholestérol et les maladies cardiovasculaires représenteraient la deuxième cause de mortalité en France. Malgré tout, les régimes végétariens sont perçus comme étant les plus mauvais pour la santé. Par ailleurs, quand elle a effectué ses études de diététique, Madame Bacot a relevé que l’enseignement du végétarisme était bien marginal. « Une page recto verso pour le végétarisme dans le manuel. » explique la jeune femme, fait surprenant quand on pense que 95% de ses patients sont végétariens.

« Le seul truc auquel il faut faire attention, surtout en étant végétalien, c’est la vitamine B12 » concède tout de même la praticienne. « Là, il faudra se surveiller et se supplémenter. » Quant au crudivorisme, elle garde des réserves : « Je ne pourrais pas donner d’opinion scientifique et objectif, mais pour ce que j’en ai vu, ça ne me semble pas équilibré… »

 

Le « gourou » du cru

En France, la figure de proue du mouvement crudiste est Thierry Casasnovas. Certains médias le surnomment le « gourou du manger cru ». Cumulant plus de huit millions de vues sur ses vidéos, ce catalan se lance dans l’alimentation « vivante » après avoir contracté plusieurs problèmes de santé et y trouve son salut. Son concept : se régénérer le corps en mangeant des fruits et légumes crus, de préférence en jus. Avec regenere.org et des stages, il partage son savoir-faire et ne fait pas l’unanimité. En plus d’avoir été fortement critiqué dans la presse, il est aussi sous la surveillance de la Miviludes (Mission Interministérielle de la Vigilance et de la Lutte contre les Dérives Sectaires) depuis 2012.

Quant à Camille, notre crudivore, elle reste plutôt supporter : « J’ai une bonne opinion de lui. Il aide beaucoup de gens avec ces vidéos. » Quant aux critiques qui lui étaient faites, notamment de mettre la vie de personnes en danger et de se faire des sous dans leur dos, elle ne voit pas où est le problème : « Il ne force personne. ». Dans cette ère de l’Internet et de la libre circulation de l’information, on trouve de tout et de n’importe quoi. C’est effectivement aux internautes de faire la part des choses. Par ailleurs, elle-même est dans cette optique de transmission de savoir et de partage d’expérience avec son blog. Pour elle, l’alimentation en soit est déjà un sujet controversé : « Chacun vend ce qui a marché pour lui. »

 

L’être humain: future espèce végétarienne?

Pour Jean-Louis Lambert, sociologue spécialiste de l’alimentation, le crudivorisme est une mouvance qui reste et doit rester marginale. Il s’est intéressé au phénomène de végétarisme depuis environ quinze ans et a étudié son émergence : « Ces nouvelles représentations des animaux sont plutôt dans le milieu urbain, qui ne sont plus en contact avec des animaux d’étables et d’élevages… » contextualise-t-il. Pour lui, avec l’urbanisation des modes vies, l’attitude envers la consommation de viande est devenue de plus en plus embarrassée. Les industriels s’y sont accoutumés en proposant des produits d’origine animal moins « réel », en transformant, hachant, panant leur viande. Il s’est par conséquent installé un imaginaire de ce qu’il appelle « des mangeurs de viandes qui ne seraient pas des mangeurs d’animaux ». Le phénomène de végétarisme, dont il est de plus en plus question ces dernières années, prend donc son origine dans ces nouvelles préoccupations. Cela explique selon lui son émergence plutôt récente en France, contrairement aux pays anglo-saxons. Mais à l’écouter, il ne fait aucun doute que l’homme est et restera omnivore : « Dans l’histoire de l’espèce humaine, il semble bien qu’il y a une attirance quasi innée dans nos gênes pour les aliments d’origines animales. Les premiers bifaces ont probablement été fait par les charognard qui y trouvaient un moyen de découper de la viande. » Au-delà de cela, il considère que ce n’est pas une solution sur le plan nutritionnel et un comportement qui ne deviendra surement pas massif, notamment pour le crudivorisme : « Il y a quand même beaucoup de produits que l’on ne peut pas consommer cru, donc ça limite sérieusement la variété de la consommation. »