Edito – Jeudi 14 juillet 2016, à Nice, un camion conduit par un homme, identifié ensuite comme étant Mohamed Lahouaiej Bouhlel, a foncé dans la foule sur la promenade des Anglais, faisant au moins 84 morts, dont plusieurs enfants. Les victimes venaient d’assister au feu d’artifice célébrant la fête nationale.

Image : European Parliament / Licence CC

Image : European Parliament / Licence CC

La situation a comme un air de déjà vu : un message d’un ami, un « post » aperçu sur le fil d’actualité Facebook, un tweet… On allume la télé, on regarde consulte l’application de son media favori sur son smartphone… Et la dure réalité confirme toutes nos craintes : la violence vient une fois de plus de frapper aveuglément le pays. Une fois de plus, un acte terroriste vient de transformer une soirée de fête en une nuit de terreur et de souffrance.

Puis viennent les émotions : la peur, la colère, l’incompréhension… Et aussi la lente réalisation qu’on n’est que très peu surpris. Qu’il s’agissait d’une question de « où », de « quand », de « comment », mais pas de « si ». C’est alors que surgit cette question : Cela ne finira donc jamais ?

La récurrence est brutale. Les images reviennent comme un mauvais cauchemar, mais un cauchemar malheureusement réel. La même violence aveugle frappant des personnes qui ne cherchaient qu’à faire la fête, un acte ignoble de destruction fauchant volontairement des centaines d’innocents, y compris des enfants. Les mêmes photos de corps sous des draps, d’ambulances par dizaines, les mêmes témoignages de personnes choquées dont le terrorisme vient en quelques secondes de bouleverser totalement l’existence, les mêmes appels sur les réseaux sociaux de proches cherchant un être aimé disparu…

Les écueils de la réaction instantanée

Malheureusement, les réactions de certains responsables politiques et de certains médias sont aussi toujours les mêmes. Cette fois-ci, l’unité nationale politique s’est fissurée avant même qu’elle n’ait pu se mettre en place. L’attaque venait à peine d’avoir lieu, que déjà les accusations d’incompétence émanaient à l’encontre du gouvernement. Est-ce l’approche d’échéances électorales, ou l’impératif contemporain consistant à devoir réagir instantanément à l’actualité, y compris sous le coup de l’émotion? Quoi qu’il en soit, les mêmes discours sur l’état laxiste, la nécessité (au demeurant peu envisageable dans une démocratie) d’enfermer tout individu soupçonné ou d’expulser les étrangers ayant fait l’objet d’une peine, ont une fois de plus fleuris chez les responsables politiques de droite et d’extrême droite. Au moins Henri Guaino a-t-il fait preuve d’originalité en suggérant qu’un militaire avec un lance-roquette aurait certainement pu stopper le camion !

Mais l’impératif de la réaction rapide s’est aussi faite sentir chez l’exécutif. Prolongation de l’état d’urgence (alors qu’une loi de « réforme pénale » a été publiée au Journal Officiel début juin), renforcement de l’opération Sentinelle et des actions en Irak et en Syrie, appel à la réserve opérationnelle : que du très (trop) attendu…

Si certains médias, et notamment les chaîne d’info en continu, semblent avoir appris de leurs erreurs passées et ont été bien plus mesurés dans leur traitement de l’événement, quelques images regrettables sont à déplorer. Plusieurs médias ont montré des images des corps ou du camion fonçant dans la foule. La chaine LCI, elle, a repris certaines rumeurs concernant une prise d’otage. Le site FranceTV Info a dû publier un communiqué présentant ses excuses pour l’interview d’un homme filmé au côté du cadavre de sa femme.

Faut-il se résigner?

Tout ceci étant dit, faut-il pour autant se résigner? Accepter que la France est en guerre et que la violence terroriste risque de frapper à nouveau? Changer ses habitudes, comme beaucoup le font certainement déjà – de façon plus ou moins consciente, par peur d’être atteint par une balle, une explosion, un camion, alors qu’on ne fait que vivre, que partager des moments entre amis?

Ces questions sont légitimes, omniprésentes et difficiles. L’objectif même des terroristes est de toucher le pays en son cœur, d’instaurer le doute, la peur, la méfiance, de diffuser le poison de la suspicion généralisée de l’autre, de celui qui est différent, et de monter les communautés les unes contre les autres. Céder à cette peur, à la tentation du repli sur soi, à la recherche de coupables idéaux, c’est faire le jeu des terroristes. Mais il est légitime de craindre pour sa vie, d’être prudent… Insidieusement, la peur se propage, transforme notre mode de vie, nos habitudes.

Malheureusement, ce ne sera peut-être pas le dernier attentat qui frappera notre pays. Mais il ne s’agit pas de se résigner.

Image : Selene Verri / Licence CC

Image : Selene Verri / Licence CC

A l’échelle politique en particulier, il s’agit de se poser les bonnes questions. Oui – il faut le dire -, certaines attaques, comme celle que viennent d’endurer les Niçois, sont difficilement prévisibles et quasiment impossible à éviter. Mais il y a des améliorations à faire, notamment au niveau du renseignement, pour éviter que de tels événements se répètent, en particulier lorsqu’il s’agit de terroristes agissant en lien avec un réseau. Des pistes comme le renforcement du renseignement humain et une meilleure coordination des services de renseignement – à l’échelle nationale, européenne et mondiale – se doivent d’être étudiées dans les plus brefs délais. La guerre contre Daesh ne peut se mener uniquement par des bombardements. Il est primordial de mener cette guerre aussi sur un terrain économique et politique, asséchant les sources de profit des organisations terroristes, et exerçant des pressions diplomatiques plus fortes et intransigeantes sur les pays participant (de façon plus ou moins poussée) à une aide au développement de certains groupes djihadistes.

La lutte contre le terrorisme est périlleuse et particulièrement difficile pour une démocratie comme la France. Les mesures se doivent d’être efficaces, adaptées, mais doivent éviter le risque de la surenchère, du basculement dans des modes de fonctionnement contraires à ce que sont les idéaux de la France, à sa devise de « Liberté, égalité, fraternité ». La solution du « tout sécuritaire » peut être tentante, mais elle n’est pas forcément efficace – les exemples historiques d’États policiers ayant essuyé des vagues d’attentats ne sont pas inexistants – et peut mener, si conduite à l’excès, à offrir une victoire aux terroristes. La défense de la France ne peut se faire au dépens de ce qui fait sa grandeur, ses valeurs.

 

Image : H. Michael Karshis / Licence CC

Image : H. Michael Karshis / Licence CC

Quoi qu’il en soit, l’heure est avant tout au recueillement. Nos pensées sont tournées vers les victimes et leurs familles, ainsi que vers les services de sécurités, les services d’urgence et toutes celles et ceux qui se dévouent jour et nuit pour les aider dans cette horrible tragédie.