« Déradicalisation », ce mot que tout le monde entend mais sans forcément savoir ce qu’il signifie. Ce processus est un des moyens pour lutter contre le djihadisme. Prometteur ? Incertain ? Efficace ?
Afin de comprendre son fonctionnement et son rôle concernant la radicalisation nous nous appuierons sur les propos de Dounia Bouzar, anthropologue en matière de religion et Directrice Générale du Centre de Prévention contre les Dérives Sectaires liées à l’Islam (CPDSI).
Pour lutter contre la menace terroriste, de nombreux moyens sont mis en place, notamment par le gouvernement, comme des cellules de déradicalisation composées de policiers, d’éducateurs pour aider les familles concernées, ou des campagnes de prévention contre le djihadisme. Mais est-ce suffisant ?
Comment peut-on arriver à une radicalisation ?
Dounia Bouzar explique que « l’on se radicalise parce que l’on a peur. Les recruteurs commencent toujours par une approche anxiogène. Ils font peur au jeune en lui disant qu’il ne peut pas faire confiance à cette société et aux adultes qui y sont liés. Ce n’est que lorsque le jeune a intériorisé cette vision du monde de type paranoïaque que les recruteurs lui proposent leurs solutions compensatoires dysfonctionnantes : fuir ce monde corrompu ou régénérer ce monde corrompu géré par les lois humaines. Seules les lois divines peuvent apporter justice et sérénité. Le jeune adhère progressivement à cette idéologie collective parce qu’elle présente un monde utopique où il n’y aurait plus de pauvreté ou d’injustices.. »
La tactique de Daesh
Les recruteurs de l’État Islamique jouent sur la vulnérabilité des personnes en faisant croire que le groupe radical est la voie de la raison. Selon Dounia Bouzar, les recruteurs de Daesh sont encore plus vicieux que ceux d’Al Qaida puisque ils utilisent « toutes les vulnérabilités, pas seulement celles liées à la perte d’espoir social mais à un décès brutal, une maladie, un besoin d’être utile, une insécurité ».
La radicalisation change la manière de voir le monde, de penser et d’agir, ce qui pousse l’individu à considérer les choses qui l’entourent d’une autre façon. Daesh joue sur le plan émotionnel de l’individu en l’incitant à réagir notamment en actes, par la violence, pour améliorer les choses dites essentielles pour sauver sa famille et son pays. Il utilise alors différentes méthodes comme l’embrigadement relationnel, c’est à dire l’adhésion au groupe radical, ainsi que l’embrigadement idéologique où seule la charia peut diriger le monde.
La cible de Daesh n’est donc pas un hasard. Il considère les jeunes comme étant les sujets potentiels, appropriés pour le djihadisme.
La déradicalisation, une solution pour lutter contre le mal
Dounia Bouzar, Directrice Générale du Centre de Prévention contre les Dérives Sectaires liées à l’Islam, accueille au sein de son établissement 809 jeunes qui ont entre 12 et 28 ans.
Selon elle, « se déradicaliser signifie montrer au jeune que son engagement dans Daesh ne correspond pas à la recherche de l’idéal qu’il imagine ».
Le but de la déradicalisation vise à prouver que Daesh est une illusion, une tromperie, puisque « Daesh n’est pas un monde utopique, juste et équitable où l’on défend les musulmans » mais que « c’est un simple projet d’extermination et du purification. »
Mais est ce que l’on peut considérer la déradicalisation comme une méthode certaine ?
La déradicalisation est une méthode qui a du succès mais qui dépend du temps de prise en charge. En effet , la déradicalisation chez les adolescents est beaucoup plus longue en raison de l’ancrage idéologique. Il est également difficile de déradicaliser un individu engagé depuis longtemps au service de l’État Islamique puisque, comme nous l’a confié Dounia Bouzar, « il est en connaissance de cause dans le projet d’extermination du reste du monde. »
Une déradicalisation totale est-ce possible ?
« Oui bien-sûr heureusement! Sinon qu’est-ce que l’on ferait de ces milliers de jeunes ? » s’exclame madame Bouzar.
En effet, la déradicalisation permet de prendre conscience que Daesh représente le mal et que le monde dans lequel nous vivons ne ressemble en aucun cas au monde que l’État Islamique veut projeter.
Cependant la déradicalisation n’est pas quelque chose de facile puisque il est dur de revenir dans le monde réel. Pour une déradicalisation, il faut compter environ un minimum de un ou deux ans pour sortir l’individu à la fois du groupe et de l’idéologie radicale. Mais certains radicalisés sont encore fragiles et cela nécessite beaucoup plus de temps.
De plus , une déradicalisation totale est possible mais nécessite un énorme travail de fond.Les individus arrivés en fin de déradicalisation doivent être suivis. C’est d’ailleurs ce que préconise le CPDSI. Pour éviter que les déradicalisés retombent en phase de solitude, de dépression, il faut être présent pour eux afin de les laisser exprimer ce qu’ils ressentent et ce qu’ils pensent. C’est alors une étape importante de la déradicalisation puisque elle permet d’échanger, de travailler avec des partenaires tels que des psychologues, des imams , des centres de réinsertion.
En effet Dounia Bouzar nous confie que « L’espace de déradicalisation est un peu un sas, un espace transitionnel entre Daesh et le monde réel. L’objectif est de faire du lien entre ces jeunes et les partenaires ».
La déradicalisation peut faire des miracles
En sachant comment procède la déradicalisation, une question mérite encore d’être soulevée. >Même si une déradicalisation fonctionne comment pouvons nous être sûr que les déradicalisés n’iront pas refaire la djihad ?
Des exemples de déradicalisation réussie existent.. Dounia Bouzar a travaillé en octobre 2016 avec l’ex mentor des frères Kouachi : Farid Benyettou. Il se trouve maintenant de l’autre côté de la barrière. Il apparaît comme étant d’une grande aide pour sauver les jeunes, comme nous l’a confié Dounia Bouzar, en nous proposant un des propos du repenti Farid Benyettou « Je suis absolument certain que je ne pourrai plus jamais retomber car maintenant que j’ai rencontré Dieu, je ne laisserai plus aucun humain se mettre entre Lui et Moi et me dicter ce que je dois faire ».
La radicalisation est aujourd’hui un sujet très sensible qui nous touche tous. Beaucoup de moyens sont mis en œuvre pour sensibiliser un maximum la population en établissant des actes préventifs et en expliquant les faits.
Le film Le Ciel Attendra sortit en octobre 2016 rend compte de la situation du monde dans lequel on vit et nous fait entrer dans le quotidien de deux familles qui font face à la radicalisation. Toutes les étapes de la radicalisation nous sont montrées dans ce film, ainsi que le processus de déradicalisation.
Un film très poignant qui a réussit à poser des mots, des images sur un fait d’actualité qui ne cesse de croître.
Dounia Bouzar se bat contre le phénomène de radicalisation puisque « il faut croire que l’on peut faire ressurgir l’humain pour le déradicaliser ».
Dounia Bouzar fait le tour de la question de la radicalisation en expliquant comment elle se développe, notamment dans son dernier ouvrage publié aux éditions la Martinière Jeunesse, Ma meilleure amie s’est fait embrigader.
Eva Delabarre