Une grande bouche prête à vous avaler arrive tout droit des éditions Intervalles. « Création littéraire et curiosités graphiques » annonce la couverture, et le moins que l’on puisse dire c’est que le mélange fonctionne. Retour sur le premier numéro du Chant du Monstre, sorti dans vos (bonnes) librairies fin 2012.
Comme l’édito le précise d’emblée, pas facile en notre époque où l’effervescence tend à la confusion, de créer une nouvelle revue avec une identité propre et légitime. C’est pourtant le pari de trois femmes, Sophie Duc, Angélique Joyau et Céline Pévrier, venues défendre le principe d’hybridation. Ainsi, dans leurs pages se croisent écrivains, poètes, dessinateurs, illustrateurs et graphistes. En plus de se croiser, ils se répondent, fondent leurs rêves et leurs cauchemars dans le même creuset. Ce qui aurait pu donner lieu à un indigeste fatras s’avère être une expérience aussi originale que cohérente. S’il y en a pour tous les goûts, il y a surtout, dans l’entreprise, beaucoup de bon goût.
Cette sortie est d’autant plus courageuse qu’elle ne mise pas franchement sur la célébrité de ses auteurs. Pas de grosses stars dans ce numéro 1. Au mieux, quelques noms résonneront chez les plus érudits comme celui de la poète punk et écrivain expérimental Kathy Acker. Foenkinos et Musso n’interviennent que sous la plume acérée du prolifique Fabrice Colin, justement venu tailler un costard aux prétendus défenseurs du bon goût. Et si au gré de ces déambulations littéraires il fait toujours bon lire un texte de Thomas Vinau, on découvre avec autant de plaisir l’univers dangereusement enchanteur de l’excellent illustrateur Frédéric Noël, tandis que les éditions Monsieur Toussaint Louverture nous invitent à pénétrer avec autant d’audace l’envers du décor du métier d’éditeur. On ne les citera pas tous pour mieux vous laisser quelques surprises qui ne manqueront pas d’éveiller votre curiosité.
Enfin, si la littérature est mise en avant et l’expérimentation à l’honneur. Le graphisme n’est jamais en reste. Le choix des participants tient du sans-faute et le tout est très bien emballé. Beau papier, belle présentation… Bref, bel objet ! Le soin apporté au choix des participations se retrouve jusque dans la maquette, aérée, colorée et ingénieuse. Arrivé à la fin, on regretterait presque qu’il faille attendre six mois pour découvrir le prochain numéro. C’est que la qualité n’arrive pas en claquant des doigts. Heureusement on pourra toujours retourner en librairie, se familiariser un peu plus avec les belles découvertes du monstre hybride sinon se plaire à replonger dans les 128 pages de cette bouche géante jusqu’à l’ivresse. Faites sonner les sirènes. Pour reprendre les mots de Dominique Bordes : « il faut chercher la littérature partout où elle se cache. Et pour cela, rester libre. » Puisse donc cette nécessaire liberté porter haut l’étrange mélodie de cette créature de papier.
On ne peut que souhaiter à ce monstre là de chanter longtemps encore.
Matthieu Conzales