Tout cinéphile qui se respecte a vu, au moins une fois dans sa vie, un film de Sidney Lumet. Le bonhomme, décédé il y a un peu plus de deux ans maintenant, avait accouché d’une copieuse filmographie. Son œuvre, cohérente et pertinente, est parsemée de véritables classiques : 12 hommes en colère, La colline des hommes perdus, Serpico, Un après-midi de chien, Network – main basse sur la T.V… Les plus grands ont aimé jouer dans ses films et, la plupart du temps, il le leur a bien rendu. Le 3 juillet dernier, l’éditeur Carlotta a sorti, dans un nouveau master restauré, Contre-enquête, film tardif dans sa carrière et qui lui permit de clore sa trilogie sur la police new-yorkaise. Verdict.
Quasiment dix ans séparent chaque film de cette trilogie thématique. Serpico d’abord, en 1973, qui bénéficie de la prestation remarquée de Pacino pour dépeindre le quotidien des flics de New-York. Le prince de New York ensuite, en 1981, film monstre et passionnant qui s’intéresse plus précisément à la corruption dans les brigades de police. Avec Contre-enquête, on est en 1990, la corruption a depuis longtemps gangréné tout le système et le héros du film, le jeune Al Reilly (interprété par Timothy Hutton), substitut du procureur, va l’apprendre à ses dépens. En enquêtant sur la mort du gangster Tony Vasquez, abattu par l’agent Brennan dont plusieurs témoins confirment qu’il a agi en état de légitime défense, il va devoir plonger dans les méandres du système, au risque de ne pas en ressortir indemne.
Si, de prime abord, Contre-enquête n’a pas autant de panache que Serpico ou Le prince de New York, c’est en partie à cause de son interprète principal. Mais pas que ; si Timothy Hutton n’est pas l’acteur le plus charismatique de sa génération, Treat Williams, dans Le prince de New York, ne l’était pas non plus. C’est au niveau de sa narration que Contre-Enquête emprunte des sentiers pour le moins étranges. Abandonnant progressivement son héros pour suivre des personnages secondaires, dont l’excellent Armand Assante, décidément trop rare dans des rôles à la mesure de son talent, le film navigue au gré des péripéties semblant se soucier plus volontiers des thèmes évoqués que de l’accessibilité de son histoire. Cela s’opère cependant avec une fluidité remarquable et le polar nous tient en haleine sans jamais relâcher la tension. La présence électrique de Nick Nolte, brutal et menaçant dans le rôle de Brennan, n’y est pas pour rien.
Une plongée dans une ville gangrénée par la corruption
Les thèmes abordés, quels sont-ils ? Lumet continue d’explorer les racines de la corruption jusqu’à remettre en cause les fondements de l’Amérique toute entière. En parallèle, et par des dialogues racés, le réalisateur parvient à se focaliser sur le caractère profondément hétéroclite de New-York. Il traite alors habilement du racisme ordinaire. Peu à peu, la figure du héros idéal, plein d’utopie, se déchire et, poussé à la marginalité par un système aussi redoutablement efficace que gangréné, dessine dans sa chute une amertume prenante derrière la mise en scène tendue.
Si Contre-Enquête n’est pas le plus grand film de son auteur, c’est en tous cas l’un de ses derniers grands films. Un film original et rare, sombre et beau, spectaculaire et exigeant.
Vous l’aurez compris, un film à (re)découvrir d’urgence, d’autant que la copie est soignée et que le bonus, Désillusions, long entretien avec le critique et historien Jean-Baptiste Thoret, propose un modèle d’analyse intéressant et très complet.
Matthieu Conzales.
Contre-enquête, 1990, de Sidney Lumet. Disponible en Blu-Ray et DVD chez Carlotta depuis le 3 juillet 2013.