C’est l’histoire de deux artistes qui ne cessent de se chercher, de se trouver et de se perdre. Plongé dans le New York des années 60-70 par un style fluide tantôt dérangeant, tantôt poétique, le lecteur entre dans un récit plein de vie mais pourtant étrangement morbide.
« On a dit beaucoup de choses sur Robert et on en dira encore. Des jeunes hommes adopteront sa démarche. Des jeunes filles revêtiront des robes blanches pour pleurer ses boucles. Il sera condamné et adoré. Ses excès seront maudits ou parés de romantisme. À la fin, c’est dans son œuvre, corps matériel de l’artiste, que l’on trouvera la vérité. Elle ne s’effacera pas. L’homme ne peut la juger. Car l’art chante Dieu, et lui appartient en définitive. »
Ces quelques lignes, en guise d’introduction à l’avant propos, rendent hommage à un homme : Robert Mapplethorpe. Ce roman est une oraison funèbre, un récit plein de vie célébrant les années de joies et de peines de deux artistes qui s’aiment d’un amour éternel. Des sentiments les lient, certes, mais le ciment de leur relation n’est rien d’autre que l’Art, dans toute sa signification. C’est l’amour qui lie Robert et Patti, c’est l’amour qui les lient chacun à leurs arts respectifs, c’est l’amour de cet art qui leur permet de survivre, contre l’adversité. C’est aussi l’amour qui leur offrira des opportunités, l’amour qu’ils portent au monde, à la musique et à la photographie qui leur permettra de s’affranchir de leurs chaînes et de vivre enfin cette vie dont ils ont tant rêvé. L’argent pour lui, l’accomplissement pour elle.
Alors qu’elle étudie dans le but de devenir institutrice, elle tombe enceinte à dix-neuf ans. Dans l’Amérique puritaine des années 60, comme Patti Smith nous le conte, sexe et mariage sont indissociable si bien que très vite les langues s’activent. Elle subit une scène atroce alors qu’elle devait accoucher, laissée sur une table des heures durant, alors que le travail avait déjà commencé.
Après avoir donné la vie, Patti veut repartir sur de nouvelles bases, se construire cette carrière d’artiste qui l’obsède tant. Quittant le South Jersey pour New York, elle rêve d’être la muse d’un artiste, comme Frida Kahlo l’a été pour Diego Rivera en son temps. Confrontée à la dure réalité, Patti passe ses premières nuits dans la rue, n’ayant nulle part où aller. Au gré de ses pérégrinations nocturnes, elle ne peut s’empêcher d’admirer cette ville pleine d’énergie et ses gratte-ciels qui se fondent dans la nuit étoilée. Bien vite, la faim et la fatigue se font ressentir. C’est là qu’elle rencontre Saint, un vagabond comme elle, qui la nourrit, l’instruit avant de s’évaporer, quittant la vie de Patti comme il y était entré. La liberté l’enivre mais le manque d’argent est un réel et dangereux problème. Bientôt, elle fera une rencontre qui changera sa vie, mais elle ne le sait pas encore…
C’est ainsi que Patti rencontre le jeune garçon qui l’avait accueilli à Brooklyn alors qu’elle cherchait ses amis. Engagé depuis peu en tant que bijoutière dans un supermarché, Robert vient un jour pour acheter un collier. Alors que Patti l’emballe, elle lâche : « Ne le donne à aucune autre fille que moi ». Il lui en fit la promesse. Quelque jours plus tard, lorsqu’il la sauve d’un homme un peu trop entreprenant, il tient parole et le lui offre, scellant le début de leur relation. Au début, ils occupent l’appartement d’un ami de Robert. Le jeune homme présente ses travaux à Patti le soir même et c’est là que leur liaison artistique débute.
Ils vivent de la générosité des amis de Robert, bien qu’ayant tout deux un emploi, la vie étant trop chère pour qu’ils puissent subvenir à leurs besoins. Robert leur déniche un petit appartement délabré qu’ils retapent pour y vivre. L’argent manque toujours, si bien qu’ils se voient contraint de partager leurs repas. Lorsqu’ils vont au musée, seul l’un d’entre eux peut y rentrer, tandis que l’autre attend à l’extérieur que son compagnon vienne lui décrire les merveilles qu’il y a admiré. Vie de bohème, ils passent leur nuit à créer au son des disques des Doors ou de Tim Buckley. Leur vie est difficile mais ils s’accrochent à leur art, doutant parfois de leurs talents mais finissant toujours par se rendre à l’évidence : ils sont bel et bien fait pour cela ! Ils commencent alors peu à peu à fréquenter la cour d’Andy Warhol au Max’s. Patti y rencontre Jimi Hendrix, quelques jours avant sa mort. Le couple ommence à se faire connaître, les poèmes de Patti sont encensés, les créations et les photographies de Robert lui permettent de trouver un mécène. Tout commence à aller mieux, certains démons intérieurs hantent pourtant toujours les deux amis. Pour Robert, c’est son homosexualité qu’il refoule et les drogues qu’il consomme. Patti, elle, a peur de le voir mourir.
L’histoire est racontée d’une telle façon par la plume de Smith que l’on quitte le genre autobiographique : les descriptions fourmillent de détails, la misère et la détresse sont racontés avec un réalisme sec et brutal, les joies avec une douceur non feinte. L’écriture est parfaite, que ce soit au niveau du rythme ou du style, l’immersion est garantie. Plus que l’écriture, l’histoire en elle-même transpire d’authenticité et on ne peut qu’admirer la ténacité de ces deux jeunes gens qui se battent contre vents et marées, se jetant corps et âme dans une aventure incertaine mais ô combien grisante. Leur parcours est parsemé de rencontres, toutes les marqueront, certaines plus que d’autres. La maladie ne les épargnera pas, la mort non plus.
Nous ne pouvons que vous conseiller de vous procurer ce roman, Just Kids de Patti Smith aux édition Folio, qui vous transportera dans un monde magique. Plus qu’un voyage dans le temps, plus qu’un livre, c’est un film que vous aurez l’impression de suivre au gré des pages.
Simon Sainte Mareville