Le cinéaste Robert Aldrich est à l’honneur ce mois-ci chez l’éditeur Carlotta qui sort en DVD et blu-ray deux films de ce cinéaste majeur : En quatrième vitesse (le 20 novembre) et L’Ultimatum des trois mercenaires (le 6 novembre). A travers ces deux films, ses incartades comiques mises à part, c’est un peu un grand pont qui nous est proposé pour survoler toute la carrière d’Aldrich.
Une jeune femme blonde court sur une route près de Los Angeles en pleine nuit, essayant désespérément de se faire prendre en stop, et parvient à arrêter la voiture du détective privé Mike Hammer. La femme, nue sous son trench, dit s’appeler Christina et s’être échappée d’un asile psychiatrique où on l’avait internée de force. Ils sont alors rattrapés par un groupe d’hommes qui les enlève ; Christina est torturée et tuée tandis que Mike est battu et laissé pour mort. Mais celui-ci survit miraculeusement et, sur son lit d’hôpital, décide d’enquêter, obsédé par les derniers mots de Christina : « Souvenez-vous de moi. » En adaptant un polar classique écrit par Mickey Spillane, Aldrich en profite pour détourner d’emblée les clichés du film noir et insérer déjà une dimension politique qui ne figurait pas dans le roman d’origine. Entre une critique du maccarthysme et une dénonciation du nucléaire, En quatrième vitesse est vite devenu une œuvre culte, dépassant largement son statut de simple film noir. Le cynisme y est omniprésent et la violence prête à surgir à chaque instant dans une tension soutenue tout du long. Si les vamps sont bien présentes, Mike Hammer est déjà loin de la figure positive du héros. Le côté sexy, mâtiné de paranoïa et de noirceur véritable, fait ici un mélange détonnant. Œuvre séminale à la mise en scène virtuose (tout le début et jusqu’au générique nous plonge directement dans l’action tout en nous intriguant), souvent considérée comme son chef-d’œuvre, En quatrième vitesse contient déjà, en germes, les principales caractéristiques du cinéma d’Aldrich que sont la violence et la critique politique. On pourrait croire que ce film de début de carrière n’a pas grand-chose à voir avec L’ultimatum des trois mercenaires, qui correspond à la fin de carrière du cinéaste. C’est faux. Le même regard critique, porté par des idées de gauche, anime ces deux films, et les regarder aujourd’hui dans la foulée montre bien à quel point une carrière peut parfois être cohérente.
Le dimanche 16 novembre 1981 s’annonce comme une journée tranquille pour David Stevens. Le président des États-Unis ignore qu’au même moment des évadés de prison sont en train de s’infiltrer dans une base militaire du Montana, afin de prendre le contrôle de neuf missiles nucléaires. Leur meneur, Lawrence Dell, est un ancien général de l’US Air Force condamné pour meurtre. Introduit avec succès dans le silo 3, Dell contacte l’état major et impose ses conditions… L’Ultimatum des trois mercenaires est l’un des derniers films d’Aldrich, sa mise en scène y est plus austère et la violence moins frontale. L’aridité de son style accouche alors par moments d’œuvres moins commerciales à l’image de Fureur Apache avec Burt Lancaster déjà. L’ultimatum des trois mercenaires commence comme un thriller classique, avec des scènes d’action un peu molles et une infiltration qui fonctionne sans être remarquable. C’est au bout d’une heure environ que le film décolle vraiment tandis que la dimension politique prend de plus en plus d’importance. Si le split-screen, sans parvenir à la grâce esthétique de L’Affaire Thomas Crown ou de L’étrangleur de Boston, est utilisé avec autant de précision que d’efficacité, ce n’est pas tant la réalisation, souffrant d’un budget moindre, que le fond, par la critique féroce des institutions politiques, qui impressionne. L’Ultimatum des trois mercenaires, d’abord un peu tiède, monte peu à peu en pression jusqu’à distiller une tension habile et intelligente qui passe essentiellement par les dialogues et doit aussi beaucoup à ses interprètes dont Charles Durning, dans le rôle du président des Etats-Unis, et Richard Widmark. La fin, absolument sublime, est tout aussi inoubliable que celle d’En quatrième vitesse.
Niveau bonus, En quatrième vitesse propose un entretien de 23 minutes, « désintégration » avec le critique Phillippe Rouyer qui décrypte le film (il fait même le lien avec l’Ultimatum des trois mercenaires) et plus particulièrement la question du nucléaire amenée, dans l’œuvre, d’une façon quasi saugrenue. Le réalisateur et scénariste Larry Cohen revient pour sa part sur le personnage de Mike Hammer dans les 28 minutes de « Mike Hammer, l’homme aux mille visages » non sans évoquer rapidement la carrière d’Aldrich. l’Ultimatum des trois mercenaires propose, de son côté, un document de 66 minutes, « Aldrich à l’assaut de Munich », réalisé par Robert Fischer qui revient de façon très complète sur le tournage de ce film rare et un peu injustement oublié. La fille du réalisateur mais aussi les cameramen allemands reviennent notamment sur cette aventure, ainsi que l’acteur Gerald S. O’Loughlin qui explique par exemple comment il s’est inspiré de l’hippopotame pour interpréter son personnage. Deux DVD essentiels donc pour mieux cerner la figure de ce réalisateur de talent qui bouleversera plus d’une fois le cinéma américain avant que le Nouvel Hollywood ne vienne définitivement tout chambouler. Enfin, précisons que ce n’est pas uniquement le mois d’Aldrich chez Carlotta puisque Cimino aussi est à l’honneur avec le coffret prestige de la Porte du paradis, en édition limitée et numérotée, qui comparée à beaucoup d’éditions dites « collector » mérite cette fois-ci bien son nom.
Matthieu Conzales