Jusqu’au 9 février 2014, on joue Dom Juan sur les planches de la Comédie Française de Paris, pour la deuxième année consécutive. C’est l’occasion de redécouvrir la célèbre pièce de Molière, vue à travers le regard de Jean-Pierre Vincent. Le comédien, metteur en scène et directeur artistique la présente au public dans son caractère originellement classique, et choisit de rejoindre sans détour la rive comique.
Dom Juan compte parmi les pièces les plus classiques du répertoire théâtral français ; tout un chacun en connaît l’intrigue, et le nom légendaire du séducteur espagnol est entré depuis bien longtemps dans le vocabulaire courant. C’est une pièce hybride, intrigante, à mi-chemin entre comédie et tragédie. Jouée pour la première fois en 1665, elle ne cesse de fasciner théoriciens littéraires et metteurs en scène, qui depuis plus de trois siècles, n’ont de cesse d’en proposer de nouvelles lectures.
Une mise en scène classique
Jean-Pierre Vincent, pour sa part, semble avoir fait le choix de revenir avant tout au caractère justement classique de la pièce. Les costumes sont d’époque, les décors réalistes. Ils invitent le spectateur, avec sobriété et efficacité, à suivre le maître et son serviteur dans leur course libre et libertine, des appartements de Dom Juan au mystérieux tombeau du Commandeur, en passant par le village côtier, plein de lumière, du deuxième acte, puis par la forêt déjà inquiétante ; annonce silencieuse d’une fin funeste. Les symboles sont convenus, le ciel gronde à chaque fois que Dom Juan défie le ciel, la statue du Commandeur est effrayante à souhait, entourée de fumée et de lumières rouges. Le texte est respecté à la lettre près, et il y a peu de libertés d’interprétation prises par le metteur en scène, qui s’inscrit dans la ligne traditionnelle de la Comédie Française.
En plus du respect de son caractère classique, Jean-Pierre Vincent a choisi, comme d’autres avant lui, de sublimer dans Dom Juan la comédie. On ne peut le mettre en doute tant on rit de concert avec les autres spectateurs. Le ton est léger, parfois burlesque et bon enfant. On rit beaucoup lors de l’acte II, en écoutant les déboires amoureux du pauvre Pierrot, échangeant dans un patois délicieux avec Charlotte, et l’on rit surtout, tout au long de la représentation, lors des tirades de l’excellent Serge Bagdassarian, très justement comique en Sganarelle à la fois ridicule et sympathique. Ridicule est aussi, semble-t-il, le trait principal ressortant du personnage de Done Elvire, grandiloquente dans ses tirades proprement lyriques. Il semble y avoir pour tradition de mise en scène d’extraire toute dignité de cette figure féminine tragique, comme si elle gênait les ressorts libertaires et légers de la pièce. Dom Juan lui-même, parfois, peut sembler excessif, le jeu du comédien Loïc Corbery surprend par sa verve pleine d’emphase et ses hauts cris. Il peut peut-être en agacer certains.
Une comédie haute en couleurs et en voix
En tous les cas, il est certain qu’on assiste ici à une comédie, haute en couleurs et en voix, et que les dimensions tragiques de la pièce ont été portées au second plan. Il est en effet difficile de construire une réflexion profonde, métaphysique, après avoir assisté à la représentation de ce Dom Juan. Ce qui est un choix, car on sait que la pièce n’est pas que comédie, et qu’elle porte en elle une pensée esthétique et philosophique sur la condition humaine. Dans ce sens, le spectacle laissera sur leur faim tous ceux qui aiment retrouver, dans l’ « épouseur du genre humain », la figure romantique de l’être égoïste et insatisfait, à la poursuite éternelle du désir, un aspect qui ressort dans d’autres adaptations plus sombres, comme celles de Marcel Bluwal (1965) ou Daniel Mesguich (2001).
Ici pour Jean-Pierre Vincent, la légèreté est le maître mot. Nulle barrière morale, religieuse ou même physique ne vient entraver la route du héros frivole et triomphant. Le triomphe est d’ailleurs complet : le coup de théâtre final, inédit – et que l’on ne peut révéler ici sans risquer de gâcher l’effet de surprise – s’inscrit définitivement dans l’esprit de la mise en scène. A l’image de son héros éponyme, ce Dom Juan est une pièce-jeu, libertine, qui prône le divertissement, refuse toute sanction morale et fait l’apologie de la liberté individuelle. Si Jean-Pierre Vincent rencontre un tel succès, c’est peut-être parce qu’il ancre le personnage traditionnel dans une idéologie finalement toute moderne, qui rencontre le spectateur dans son amour du présent, du rire, et enfin du plaisir recherché comme une fin en soi, comme une pratique absolument terrestre, et qui du ciel comme de la société, ne connaît plus les normes ni les lois.
Roxane Duboz
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