En choisissant d’adapter Shakespeare sur grand écran, Justin Kurzel s’est confronté à l’une des plus grandes œuvres de la littérature mondiale. Macbeth est le récit de l’ascension au pouvoir d’un homme d’honneur perverti par l’envie. Sa femme et lui vont sombrer dans la folie, rongés par les remords et la cruauté.

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Un mal terré dans les plaines écossaises

Le film s’ouvre sur un premier plan magistral : on observe d’un point de vue surplombant le corps blanchâtre d’un petit garçon entouré des siens. Macbeth et sa femme disent adieu à leur enfant sans savoir qu’il est le dernier de leur lignée. L’enterrement est sobre et plein de douleur. Derrière les parents esseulés se tient un décor grandiose : les montagnes et plaines d’Écosse, noyées dans la brume. Ce paysage torturé tient en lui des promesses de malheur. Les multiples plans larges du film offrent des entractes aux péripéties de ses héros.

Dès les premiers instants, on peut constater la pauvreté dans laquelle vit Macbeth et ses sujets. Leur village n’est que cabanes de bois, constamment baignées dans le brouillard et les ténèbres.

Seule la chapelle revêt quelque dignité. Ses murs protègent des fresques religieuses, témoins d’une foi sans borne de la part des hommes. Lady Macbeth voue ses promesses aux dieux qu’elle vénère et tisse ses desseins dans cette antre mystique. L’interprétation exaltée et déterminée de Marion Cotillard saisit le spectateur et donne le ton du récit. La volonté sans faille de cette femme va décider le reste de l’intrigue. En se confiant aux dieux, Lady Macbeth fait de ses vœux une parole d’honneur nécessaire à tenir. Durant tout le film, la chapelle représente un lieu de conspiration où se réfugient les meurtriers hantés par leurs crimes et désireux de s’absoudre par la foi.

Avant de plonger dans le mal, Macbeth est un personnage honorable, caractérisé par son courage et sa loyauté. Il s’illustre en combattant sous les ordres du roi Duncan, tuant ainsi un traître à la couronne. Cette scène de guerre s’apparente à une chorégraphie, déployant technique et force de ses protagonistes. Macbeth mène ses hommes avec bravoure, irradiant de la confiance que lui porte son armée. Il marche en tête, hurlant et frappant de sa lame ses ennemis terrifiés. Ces scènes de violence sont teintées de la couleur du sang et s’appuient sur une série d’effets esthétiques. Elles se déploient comme des fresques vivantes. Ralentis, gros plans, accélérations sont autant de procédés qui viennent esthétiser et dramatiser la violence ; tels les plans tant critiqués du film 300. Même si cette scène revêt une beauté indéniable renforçant son caractère épique, les ralentis viennent alourdir le combat et lassent rapidement ses spectateurs.

Heureusement, la poésie du film reprend rapidement ses droits grâce à l’arrivée des Sœurs du Destin. A la fin de la bataille, alors que Macbeth et son fidèle conseiller Banquo comptent les morts, quatre femmes sortent de la brume et viennent à leur rencontre. Ces personnages sont déjà apparus au début du récit, contant la prophétie du futur roi. Ces êtres mystiques et irréels tiennent en leur main le destin des hommes et annoncent à Macbeth les succès qui l’attendent. Leurs présages augurent le tragique avenir que s’apprête à vivre notre héros. Destiné à devenir roi, ce dernier n’aura de cesse de presser le destin pour atteindre le pouvoir. Alors qu’il est honoré par Duncan, roi d’Écosse, Macbeth est déjà rongé par l’envie.

Un couple fort et complexe

Lorsqu’il rentre au village, Macbeth s’est assagi et souhaite oublier ses vœux de pouvoir. Sa femme, informée des présages des quatre Sœurs, nourrit l’espoir de voir son époux sur le trône. Réunis dans la chapelle, les deux amants vont fomenter un complot contre Duncan. A force de persuasion, Lady Macbeth éloigne l’innocence de son mari et ravive en lui la soif de pouvoir. Elle rassure son époux et le convainc du succès de leur entreprise. Ses regards, sa gestuelle, tout son être est porté par la rhétorique et l’exaltation. Elle semble habitée par une folie meurtrière et distille son poison à coup de paroles et de séduction. Les vers de Shakespeare se font tranchants et entament progressivement toute la bonté de Macbeth. On aurait pu craindre que l’accent de Marion Cotillard ne soit pas à la hauteur de la poésie anglaise : loin s’en faut. La comédienne est pleine de force et débite inlassablement ses vers tels des incantations. Son discours ramène Macbeth sur le chemin du pouvoir et pervertit la naïve innocence du souverain. Cette femme est un personnage crucial du récit, un pilier pour Macbeth et l’intrigue. Elle porte en elle toute la noirceur et l’envie cachées en son mari et se montre d’une volonté de fer devant l’acte à accomplir.

Pour séduire son époux, Lady Macbeth a d’autres armes que les mots. Son chantage se base aussi sur le désir : Macbeth doit se montrer aussi fort en politique qu’en amour pour ne pas perdre celle qu’il aime. Dans cet échange, elle attise le désir et l’arrogance de son mari, jouant de ses charmes pour le convaincre totalement. La sexualité des deux personnages se nourrit de cette ambition malsaine qui les attirent l’un vers l’autre. Le pouvoir est ici charnel et hisse le désir à son paroxysme.

L’envers du pouvoir

Mis en confiance par sa femme, Macbeth décide d’assassiner le roi. Guidé par le fantôme de son fils aîné mort au combat, le héros plonge dans un état de transe et passe à l’acte. Ce premier meurtre permet à Macbeth d’atteindre le trône et de gouverner l’Écosse. Bien loin de lui assurer un pouvoir serein, la couronne apporte avec elle son lot de malédictions. Seul dans sa chambre, Macbeth rêve de meurtres et sombre progressivement dans la folie. Son esprit, torturé par les remords et les doutes, voit en chaque homme d’influence un ennemi désigné. Malgré les avertissements de sa femme, réticente à l’idée de commettre de nouveaux forfaits, Macbeth mène implacablement son action de mort. Les meurtres s’enchaînent avec frénésie, renforçant l’horreur et l’obscénité du film. Ces massacres reviennent à l’écran sous forme de scènes en accéléré venues hanter l’esprit du héros. Rongé par ses crimes, Macbeth sombre dans une paranoïa sans issue et se cloître dans sa folie. Même sa femme, jusqu’alors la seule à même de l’atteindre, a perdu son emprise sur lui. Elle n’arrive pas à stopper cette course sanguinaire qui échappe à tout contrôle. Macbeth s’attache avec naïveté aux prédictions des Sœurs et justifie ainsi ses péchés. Son innocence transparaît dans la démence : il rit de désespoir devant ses méfaits et voit son esprit gangrené par le mal.

Pendant la première partie de l’intrigue, Lady Macbeth représente un contre-poids à la folie destructrice de son mari. La scène du banquet organisé en l’honneur du nouveau roi illustre bien cette confrontation entre la folie désespérée du héros et la froideur calculatrice de sa femme. Quelques heures plus tôt, Braquo a été tué dans la forêt parce que destiné par les Sœurs à engendrer de futurs rois. Rongé par le remord, Macbeth voit son fantôme au banquet et se laisse submerger par la peur. Voyant son mari perdre contrôle, la reine décide de mettre fin aux festivités, congédiant des convives inquiets et apeurés. Devant tant de maîtrise, Macbeth en vient à ne plus reconnaître sa femme, figure si belle et pourtant marquée par le sang. Cette scène représente toutefois une rupture dans le récit : Lady Macbeth sombre à son tour dans la démence. Les massacres perpétués par le roi ne font qu’enfoncer sa femme dans un état de mutisme et d’instabilité. Cette folie atteint son paroxysme lors de la scène de la chapelle dans laquelle la reine trouve refuge. Ce lieu, marqué par les noirs desseins des deux protagonistes, voit s’effondrer le rêve d’une vie. Marion Cotillard incarne avec une justesse impressionnante le rôle de cette femme déchue. Lady Macbeth est prise d’hallucinations et se mure dans des paroles insensées. Hantée par des visions fantomatiques, et incapable de se purifier des meurtres passés, elle erre parmi les plaines balayées par le vent. Tout comme son mari, la reine marche telle une somnambule à la rencontre des Sœurs, quémandant un soulagement à ses peines insoutenables.

L’ambition, un malheur inépuisable

La prophétie des Sœurs est une malédiction pour Macbeth, dont l’innocence et l’honneur ont été bafoués par l’ambition. Ses actes ont perverti l’ordre établi, détrôné Duncan « le bienveillant » au profit d’un nouveau roi dément et sanguinaire. Auparavant entouré des siens et porté par leurs amour et confiance, Macbeth est désormais abandonné de tous. Ses ambitions se soldent par la solitude et la mort. Devant le corps inanimé de sa femme, le roi se rend compte de la superficialité de son pouvoir. Il erre seul dans son immense demeure, emmuré dans sa folie. Une vue aérienne prise du plafond hall, nous offre l’image de ce roi déchu, seul sur le trône, entouré d’un luxe fade et futile. La Fortune s’est détournée de Macbeth pour n’en laisser qu’un homme plein de péchés et de remords. Assailli par ses ennemis, le roi décide de se battre une dernière fois, porté par la conviction qu’aucun homme né d’une femme ne saurait le mettre à bas. Sur le champ de bataille : un seul adversaire : Macduff, noble écossais arraché au ventre de sa mère à la naissance. En mettant cet homme sur la route du roi, le Destin a scellé la prophétie des Sœurs. Devant cette révélation, le héros ne trouve d’autre échappatoire que la mort. Refusant de s’abandonner à l’opprobre, il se livre dignement à la lame de l’ennemi. Alors que la vie s’échappe de son corps, la caméra cadre en plan moyen ce corps affaissé et pourtant plein de noblesse. Teintée de sang, la brume se referme sur Macbeth et emporte avec elle les Sœurs du Destin.

Alors qu’on croyait l’intrigue achevée, une silhouette fend le brouillard. Fléance, fils de Braquo se tient devant la dépouille du régicide et s’empare de son épée. Futur roi selon la prophétie des Sœurs, le petit garçon s’en va en courant, accélérant le pas au rythme semble-t-il grandissant de son ambition. Cette image rouge sang préfigure de nouveaux malheurs pour la couronne. Elle illustre la transmission d’une soif sans fin pour le pouvoir, source éternelle de chaos.

Camille Muller