Le 4 novembre 1994 Yitzhak Rabin, premier ministre israélien, est assassiné par un jeune juif imprégné de fanatisme religieux. Le dernier film d’Amos Gitaï s’intéresse à cet événement.

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La légitimité du documentaire et le poids de la fiction

Les images d’archives ont une importance cruciale dans le dernier film d’A. Gitai parce qu’elles appuient la volonté de reconstitution historique prônée par le réalisateur. Dans l’œuvre se mêlent images historiques et fictionnelles, se succédant généralement grâce à l’usage de transitions en fondu.
On peut regretter un lent démarrage de l’œuvre à partir du générique introductif. Pour cause, les vidéos filmées par la presse de l’époque s’enchainent et assomment quelque peu. Le film s’attarde tout d’abord sur ces documents d’archive flous et insondables aux yeux du spectateur. Heureusement, ces images deviennent par la suite des armes au service de la fiction mais aussi de la vérité au cours de l’enquête menée par les autorités du pays. Au fil du temps le film gagne en fluidité et en attractivité, saisissant davantage mon intérêt endormi.

Fiction et documentaire se mélangent pour nous livrer une reconstitution saisissante des faits passés. Ainsi, alors que le premier ministre vient de se faire attaquer, la caméra entre avec lui dans la voiture et se retrouve au plus près de l’urgence. Filmé en gros plan, le garde du corps d’Yitzhak Rabin appuie de tout son poids sur les blessures par balle de l’homme qu’il a échoué à protéger. La tension est palpable, la détresse aussi. À travers les saccades de l’image est traduite la course folle et saccadée du véhicule. Arrivé à l’hôpital, le premier ministre est emmené en soins intensifs, suspendant par la même l’attention de son pays et du monde entier. Force est de constater l’émoi des journalistes aussi bien dans les images d’archives que de fiction. Du diagnostic du premier ministre dépend tout l’avenir d’un pays et celui du processus de paix engendré avec son voisin arabe. Le spectateur est ici happé par le chaos et embarqué efficacement dans l’œuvre.
Le réalisateur plonge au cœur brûlant de cet événement, évitant par la même une re-contextualisation historique de l’assassinat, rétablie à travers l’enquête des politiques et forces de l’ordre.

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Une investigation saisissante

A cette urgence nécessaire et justement retranscrite succède le calme des institutions et le temps des responsabilités. A la tête de l’enquête, trois responsables politiques et deux policiers. Ce groupe va mener une longue investigation sur le meurtre et suivre le fil des événements avec précision et rigueur. Notons l’esprit critique de ces trois hommes en colère qui ne comprennent pas comment leur parti –pacifiste et de gauche- a pu perdre son plus grand représentant aussi facilement. L’énervement et le désespoir se ressentent dans les face à face que les membres de la commission entretiennent avec les différents témoins et responsables du drame, dans des scènes d’interrogatoires en huis clos particulièrement intéressantes.

De plus, un parallèle est dressé entre la responsabilité des meurtriers et la culpabilité relative aux membres du gouvernement. Pour cause, ces hommes ont permis à un pays ses dérives impérialistes à travers les plans coloniaux initiés en Palestine.  Ces problèmes de politique externe sont évoqués par les enquêteurs mais écartés par les hommes politiques qui veulent se concentrer essentiellement sur le meurtre et non ses causes extérieures. Cet évitement de responsabilité est mis en lumière par Gitaï dans cette nouvelle prise de position à l’encontre de la sphère politique.

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Éclairer les milieux obscurs des fanatismes religieux et politique

Le film d’Amos Gitaï nous fait plonger dans le monde de la religieux poussée dans ses pires retranchements. Nous découvrons alors, à travers des scènes qui suscitent incompréhension et révolte, le fanatisme de certains Juifs israéliens, bien décidés à établir leur dogme en loi d’État. Se basant sur des textes de la Torah et des récits hallucinés de prétendus spécialistes (politiques, psychanalystes, etc.), ces hommes et femmes étaient convaincu de détenir la vérité. Pour eux, le premier ministre était l’équivalent d’Hitler, un fou schizophrène prêt à sacrifier son peuple pour satisfaire ses besoins propres. Effroi et exaspération se succèdent devant de tels discours. L’intervention de la psychanalyste est ici éclairante. Transportée et aveuglée par sa foi, cette femme de science en oublie la raison et jette les armes devant sa croyance. Cet éclairage d’un monde religieux d’exception -parce qu’à part- permet de tracer le fil du destin d’Yitzhak Rabin et le dernier jour d’un condamné.

Récit d’une préméditation, Le Dernier Jour est également une accusation portée à l’encontre des groupuscules politiques. Pour cause, ce terreau de haine a été largement alimenté par le parti d’extrême droite de l’actuel premier ministre Benyamin Netanyahou. Nationalisme et impérialisme sont à la base de sa démagogie et alimente la haine des foules. Encore une fois, les images d’archives viennent appuyer cette triste vérité. Les vidéos des manifestations passées traduisent toute la violence d’une partie du peuple d’Israël à l’égard de la politique de pacification menée par son dirigeant. Les slogans de ces groupes révoltés, résultats d’amalgames et d’embrigadements, sont saisissants de force et de cruauté. En peignant ce triste visage d’une nation en crise, Amos Gitaï creuse davantage les raisons de cet assassinat qui a fragilisé paix et démocratie dans ce pays en pleine construction.

 

 

Pour conclure

Malgré les premières longueurs du film, j’ai beaucoup apprécié cette dernière œuvre du réalisateur Amos Gitaï. La clarté des dialogues, l’épuration de sa mise en scène et le concept de l’enquête m’ont permis d’en apprendre énormément sur cet événement qui m’était jusqu’alors quasiment inconnu. Même si le film ne pose pas les bases historiques du drame : l’arrivée au pouvoir d’Yitzhak Rabin, sa politique de paix menée en commun avec le monde arabe, la radicalisation de son opposition, etc. ; il n’en demeure pas moins très pédagogique. Les images d’archives servent à établir plus fermement les idées du réalisateur et à instruire le public, légitimant par la même la fiction portée à l’écran et inspirée du réel.

Le jeu des acteurs est également à souligner. Du côté de la justice comme des accusés, tous les protagonistes incarnent leur rôle avec beaucoup de justesse (et quelle surprise de trouver parmi eux Tomer Sisley!). Pour cause : on s’y croirait et au bout d’un moment fiction et images documentaires se mêlent dans une étrange évidence. Les membres de la Commission, trois hommes éclairés et désespérés face à la situation dans laquelle a plongé leur pays, sont des piliers dans cette œuvre politique et humaine. Ils portent, semble-t-il, les dernières espérances du premier ministre disparu. Représentants de la gauche du pays, ces hommes plein de sagesse – mais aussi de remords et de culpabilités – portent les valeurs de démocratie mises en danger par le parti d’extrême droite.

Les dernières minutes du film sont marquées par deux poignants passages. Tout d’abord, le témoignage de la veuve du premier ministre, qui se rappelle avec nostalgie et douleur l’innocence et la persévérance de son défunt mari. Elle retrace ici le portrait d’un homme qui avait foi en son pays et qui ne craignait pas les atteintes de son peuple. Images d’archives et fiction corroborent ici ce portrait émouvant : à la mort d’Yitzhak Rabin, l’Israël a perdu un homme d’espérance. Cela, le président de la Commission en a bien conscience et le déclare dans son discours final. Livré à lui même le vieil homme montre enfin ses failles. Courbé par le soucis et le temps, il s’avance dans la nuit et le vent, parcourant de son pas lent les allées désertées de la capitale. Alors qu’autour de lui sur les murs et les panneaux sourit, narquois, Netanyahou : futur dirigeant du pays.

Un film à voir, absolument.

Camille Muller