« Le Venezuela n’est pas l’Ukraine » a déclaré son dirigeant Nicolas Maduro. Pourtant de l’autre côté de l’Atlantique le pays connait depuis février un puissant mouvement de protestation à l’encontre de son gouvernement. Son président fait face à la plus grande vague de contestation depuis son élection. Parlons Info revient sur les évènements et les différentes revendications qui ont fait déjà une quinzaine de morts.
Tout commence le 4 février à San Cristobal. Sur le campus de l’État de Tachua des étudiants protestent contre l’insécurité suite à la tentative de viol d’une étudiante. Intégrant les revendications croissantes du pays envers l’insécurité, l’économie et la pénurie des matières premières, le mouvement se répand rapidement à la capitale. C’est seulement 2 jours plus tard que des étudiants attaquent le siège du gouvernement à coup de pierres et de cocktails molotov. La contestation prend une tournure différente le 12 février où de violentes manifestations explosent dans le cœur Caracas causant la mort de 3 personnes et de plus d’une soixantaine de blessés. Il ne s’agit pas seulement d’une protestation étudiante, mais bien d’une crise entre anti-maduro et pro-maduro arborant les couleurs du gouvernement.
Une pénurie d’une intensité profonde
Cette contestation de l’opposition s’articule autour de la crise et de la pénurie présente dans le pays depuis septembre dernier. Selon Paula Vásquez Lezama – docteur en anthropologie sociale et ethnologie à l’EHESS, et chargée de recherche au CNRS – cette crise a des raisons structurelles. C’est d’abord la conséquence de la politique économique mise en place par Hugo Chavez durant ses 15 années de période constitutionnelle. La conjoncture de fin 2013 a pour impact : un pays endetté menant une politique accrue du contrôle des devises. Le Venezuela se trouve être un état importateur à 100% et les entreprises qui produisaient les biens de consommations basiques ont été expropriées : « On achète tout à l’étranger mais en même temps on ne donne pas les devises aux importateurs. Ils sont d’ailleurs victimes d’une importante corruption que ce soit au sein des douanes, ou dans les ports. Le pays est dans une situation où il n’y a rien : il n’y a pas de lait pour les enfants, pas des médicaments pour les diabétiques et les cancéreux. Le Venezuela se retrouve dans une situation extrêmement forte en matière de pénurie, tous les produits de base manquent. »
La seconde revendication que l’on retrouve au cœur des manifestations concerne la question de l’insécurité. Selon les chiffres du ministère de l’intérieur publié en 2013, le nombre de meurtres commis en 2012 serait de 16 000. Un taux représentant donc 55,2 homicides pour 100 000 habitants. Le pays se classe au troisième rang mondial pour la criminalité juste après le Honduras et le Guatemala.
La contre attaque du gouvernement
Suite aux premières manifestations, le gouvernement a vite repris le contrôle. Le 14 février, Nicolas Maduro lance un appel au rassemblement de ses partisans, accusant l’opposition de fomenter des violences dans l’unique but de provoquer un coup d’état. Jouant sur la théorie du complot pour convaincre son pays, il accuse les États-Unis de financer et de soutenir le mouvement. Un moyen efficace de réfuter les accusations qui lui sont reprochées et surtout de détourner l’attention de la crise économique que traverse le pays. Néanmoins cette thématique de la conspiration est un refrain récurant pour le Venezuela. Sous Hugo Chavez déjà cette constante était au cœur de sa politique : « En 2002 les USA avaient eu une position ouvertement pour la sortie de Chavez, elle fut cependant sans conséquence réelle puisque le coup d’État fut avorté. Aujourd’hui je ne pense pas qu’il y ait une infiltration des États-Unis au cœur de la contestation. Les Américains n’ont pas les moyens pour déclencher sur place une vague de contestation comme celle là. » explique Paula Vasquez.
Le 17 février, Maduro donnait 48h à trois agents consulaires américains pour quitter le pays, accusant encore fois l’administration d’Obama de soutenir l’opposition. Signe d’un blocage absolu des relations américano-vénézuéliennes. Le régime Cubain quant à lui a bien une réelle influence « Cuba intervient dans tout ce qui relève de la répression. Il n’est pas question d’un impérialisme. C’est Chavez qui leur à ouvert la porte. Et Maduro a dans la tête le modèle Cubain »
Une répression d’une violence inouïe, le symbole de quinze années de Chavisme
En réponse à la croissance grandissante des revendications de l’opposition, le gouvernement se lance désormais dans une répression d’une rare violence. Face à ce mouvement chaotique et anomique, se retrouvent des militaires et des milices possédant un déploiement considérable en matière d’armement : « On est en train de réprimer les gens avec des armes de guerre » (Paula Vàsquez). Cette dernière nous explique que les manifestations sont réprimées par la Garde Nationale Bolivarienne, mais aussi par des « collectifs » : groupuscules de guérilla urbaine. Armés sous Chavez, ils agissent au côté de la police et de la Garde Nationale. Par rapport à l’histoire des manifestations au Venezuela c’est l’une des plus violentes répressions : « Les forces de l’ordre tirent des chevrotines dans la tête des manifestants. Cet acharnement on le l’avait jamais vu avant. On n’arrête pas les gens ici, on les tue ! Et quand ils sont arrêtés, ils sont jugés sans même attendre le procès ». Dans ce pays du nord de l’Amérique du Sud où les pouvoirs législatifs, judiciaires et exécutifs fonctionnent comme un seul et même pouvoir. Un appareil d’État surpuissant qui souhaite que la police soit « Chaviste ».
Pour comprendre cette crise politique il faut comprendre le contexte politico-économique du pays. Depuis l’accession au pouvoir de Nicolas Maduro il y a 11 mois, le pays connait un appauvrissement très important . A la fois du à l’hyper inflation de son économie et aux nombreuses mesures monétaristes. Les différentes réformes qu’elles soient économiques ou sociétales ont été acceptées par le peuple : « Ils ont approuvé car il y avait cette promesse de redistribution de la rente pétrolière. Entre l’appareil productif et un état hyper fort et redistributeur, c’est le deuxième choix qui a fait consensus. Les gens ont voté pour ça, mais cette solution n’a pas fonctionné. »
Au Venezuela c’est l’état qui est le principal investisseur car, il est le seul et unique propriétaire de la rente pétrolière. Et c’est l’État lui-même qui a été inefficace dans le relancement son économie. « Aujourd’hui Maduro approfondit la crise, mais ce dernier n’a pas une si grande légitimité que son prédécesseur. Chavez lui, était un mur de contention et arrivait à contrôler le pays. Cependant plus de la moitié de l’électorat vénézuélien est chaviste et approuve la politique de Maduro » signale Paula Vàquez.
La censure au cœur de la politique de riposte vénézuélienne
Les médias sont au cœur de cette contestation vénézuélienne. A l’occasion de sa dernière Cadena, le président a déclaré que la chaine américaine CNN voulait faire croire à une guerre civile. Maduro avait auparavant annoncé la fermeture de la chaine de TV Colombienne NTN24, qu’il accusait de présenter une couverture biaisée des évènements. Une vingtaine de journalistes auraient été agressés depuis le début des manifestations. Le gouvernement qui ne cesse sa mainmise sur les médias fait acte de propagande, faisant reprendre aux chaines de télévision ses propres thèses. RSF dénonçait ce jeudi 18 l’étouffement des médias par le gouvernement vénézuélien. Devant l’ampleur grandissante des manifestants le président fait le choix de la censure.
Paula Vàsquez nous éclaire sur cette problématique : « C’est un problème assez vieux. Depuis 2007/2008 il n’y a plus aucune radio indépendante au Venezuela. L’opposition quant à elle ne possède aucun média pour s’exprimer. La semaine dernière Twitter a été coupé à plusieurs reprises. Dans ce pays où la commission nationale des télécommunications surveille internet, le gouvernement décide de ce qui est vrai ou pas. » Tous ces actes liberticides sont pourtant des instruments légaux érigés pendant toute la période Chaviste. Selon plusieurs lois du gouvernement les journalistes ont l’obligation de donner leurs sources au gouvernement sous peine d’être assujettis. Toute information doit être vérifiée et vérifiable.
A l’heure qu’il est on ne sait pas encore comment la situation va évoluer. Selon Paula Vàsquez une sortie militaire serait le pire dénouement possible. Notamment, parce que les généraux de l’armée au pouvoir fonctionnent comme un véritable cartel de drogue. Le mouvement de contestation qui a vu le jour le quatre février a souvent dégénéré en violences, même s’il s’entremêle parfois de marche pacifique. Avec un bilan de 14 morts et de 140 blessés selon AFP en seulement 3 semaines, cette contestation inquiète de par la répression plus qu’agressive du gouvernement. Nicolas Maduro a pourtant annoncé une conférence « pour la paix » prévue ce mercredi alors que des violences éclatent un peu partout dans le pays. Cette dernière verra peut-être l’ouverture d’un dialogue…
Laura Bonnet