La situation en Turquie est assez méconnue des occidentaux. Beaucoup de questions restent sans réponses en ce qui concerne cette région. Un président autoritaire ? Des minorités rebelles et indépendantistes ? La présence ou non de terroristes ? Un pays qui ne respecte pas les droits fondamentaux des hommes et des femmes ? Un lieu géopolitiquement stratégique ? Démocratie ? Régime totalitaire ? Toutes ces questions se croisent et s’entremêlent. Enquête sur ce pays, qui à la fois inquiète et intrigue.
La Turquie a, à sa tête, le président Recep Tayyip Erdogan, élu le 10 aout 2014, auparavant premier ministre depuis 2003. Recep Tayyip Erdogan a mis en place un grand nombre de réformes qui interpellent sur l’existence de la démocratie dans son pays. Le président turc a notamment renforcé le poids de la religion musulmane dans le pays, réduisant de plus en plus la place de la laïcité. Le pouvoir du chef de l’État est néanmoins contesté, particulièrement par le parti pro-kurde lors des élections législatives. Le fait d’avoir la majorité durant les élections ne devrait pas lui donner tous les pouvoirs.
La question de l’indépendance kurde préoccupe notamment beaucoup Recep Tayyip Erdogan, qui n’accepte pas les récents résultats du référendum kurde, le oui l’ayant emporté à 92,73% pour 72,16% de participation. Depuis la guerre en Syrie, les indépendantistes kurdes ont plus de voix car ils sont en grande partie responsable du recul de Daesh sur la région. Les kurdes ont en effet aidé les puissances occidentales à lutter contre Daesh. Par ailleurs, la Turquie et la Syrie ont 800 km de frontière en commun, ce qui est un enjeu stratégique majeur dans la lutte contre l’État Islamique. Ainsi, la Turquie est le pays qui accueille le plus grand nombre de réfugiés. Cependant, depuis le référendum, le chef de l’État turc menace de bloquer l’acheminement du pétrole kurde. Or, dans ce cas, le Kurdistan Irakien se retrouverait asphyxié économiquement, car le pétrole représente l’essentiel des ressources kurdes. Le président turc s’inquiète de la propagation du phénomène indépendantiste dans nos sociétés, qui risque de gagner son pays et ainsi de mettre en danger son pouvoir. Recep Tayyip Erdogan se retrouve coincé entre les différents enjeux politiques, économiques et territoriaux qui menacent son pays, mais aussi tout le Moyen-Orient. Mais une question reste en suspens : jusqu’où est-il prêt à aller pour empêcher l’indépendance du Kurdistan Irakien ?
Ce n’est pas la première fois que le président turc agit de façon autoritaire et répressive. En juillet 2016, 290 personnes sont mortes et 1440 personnes ont été blessées lors de la tentative de coup d’État contre son gouvernement, organisée par une partie de l’armée turque, afin d’instaurer la liberté et la démocratie. Ce coup d’État intervient dans un contexte politique extrêmement tendu, renforcé par des guerres dans la région sud-est kurde du pays, ainsi que par des menaces djihadistes. En Turquie, la polarisation politique est très forte. A la suite de ces évènements, les instances internationales, notamment l’ancien président américain Barack Obama, vont soutenir le gouvernement du président Recep Tayyp Erdogan. Après ce coup d’État, Recep Tayyip Erdogan a instauré l’état d’urgence et la répression a été très violente, notamment pour les intellectuels comme les journalistes, écrivains, professeurs. Wikipédia a été bloqué, 150 médias ont été interdis, en particulier les médias d’opposition comme les pro-kurdes, 160 journalistes et de nombreux étudiants ont été jetés en prison. En parallèle, le rôle et la place qu’occupe la femme sont méprisés, les inégalités entre hommes et femmes s’accentuent. La liberté d’expression est donc contestée et remise en cause, la Turquie ne ressemble plus à un État de droit, c’est pourquoi elle n’a pas pu intégrer l’Union Européenne. Malgré de nombreux accords entre la Turquie et le Parlement Européen, ce dernier a gelé les négociations d’adhésion en raison de la crise migratoire et de la violente réponse d’Erdogan au coup d’État de juillet 2016, jugée disproportionnée.
En Turquie, les libertés individuelles et les droits civiques ont été bafoués depuis le putsch manqué qui a eu lieu en juillet 2016. L’ONU s’inquiète que la Turquie ne respecte pas ses obligations internationales en matière de droits humains et fondamentaux, notamment la liberté d’expression, la liberté de mouvement, de réunion pacifique, l’indépendance du pouvoir judiciaire et le droit à un procès équitable. Pourtant, dans les années 1990, la Turquie réunissait la tradition et la modernité, la religion et la laïcité. Puis, le gouvernement a renforcé sa politique régressive, notamment sur les minorités comme les kurdes, les femmes, les non-musulmans. La démocratie en Turquie est de plus en plus fragile avec l’incarcération de nombreux opposants, de militants, de journalistes, d’intellectuels. Le statu quo social est de plus en plus instable, et malgré les contestations internationales, la Turquie se replie sur elle-même.
Lola Raber