Le 4 mars, se tenaient en Italie les « élections politiques », l’équivalent des législatives. À la suite de celles-ci, le président de la République, Sergio Mattarella, est chargé de nommer un Président du Conseil (Premier ministre) et son gouvernement. L’enjeu était ainsi immense pour l’un des plus grands pays européens, confronté à la crise des migrants et à une situation financière critique depuis plusieurs années. Trois semaines plus tard, aucun gouvernement réellement à l’horizon. Voici un tour d’horizon de la situation italienne en cinq points clés, ainsi que l’avis de trois jeunes italiennes.
La victoire 5 Étoiles
Le parti vainqueur est le Mouvement 5 Étoiles, avec 32 % des voix. Ce parti populiste et eurosceptique n’a pas vraiment d’équivalent en France. Il dit d’ailleurs n’être ni de droite ni de gauche et a affiché comme mesure phare de campagne l’instauration d’un revenu universel. Son leader est le jeune Luigi di Maio, 31 ans, qui se compare volontiers à Emmanuel Macron pour justifier l’atout que représenterait son âge. Cependant, politiquement rien à voir avec En Marche. Giorgia, originaire de Turin, est d’ailleurs catégorique à leur sujet : « Je les déteste. Leur idée de départ d’un changement de classe politique n’est pas idiote, mais tout le monde ne peut pas devenir député, il faut connaître le droit, le fonctionnement institutionnel du pays ! »
Même son de cloche chez Alice, qui avoue être choquée par l’attitude du mouvement envers les plus pauvres : « il y a un vrai problème d’ignorance chez certains Italiens, et ils en abusent. Ils simplifient les choses. Au lendemain des élections, des Italiens sont allés à la préfecture réclamer leur revenu universel sous prétexte que le Mouvement 5 Étoiles avait gagné ! C’est n’importe quoi ». « D’un autre côté, on est pas spécialement inquiets, on pense qu’ils sont trop stupides pour réussir à bouleverser quoi que ce soit. Di Maio, il n’a même pas réussi à finir sa licence de droit », temporise toutefois Anna, en essayant de relativiser.
En remportant les élections avec près d’un tiers des voix, le Mouvement se confronte à l’obligation de former une coalition avec d’autres partis pour constituer un gouvernement. Problème : un des principes fondateurs du Mouvement 5 Étoiles est le refus absolu de toute coalition avec un autre parti. Une ineptie pour Alice, dans un pays « qui est basé constitutionnellement sur les coalitions ». Mais les promesses de campagne semblent parfois oubliées une fois le résultat sorti des urnes : les populistes ont en vain tenté de solliciter la gauche pour une coalition. Échec cuisant. Luigi di Maio ne sera donc pas Premier ministre. Mais son poids à la Chambre des députés et au Sénat sera considérable, il reste ainsi toutefois une force politique à ne pas négliger pour le futur gouvernement.
La désillusion Berlusconi
À 81 ans, l’ancien homme fort de l’Italie n’avait pas hésité à revenir sur le devant de la scène politique pour son parti « Forza Italia ». Cependant, en raison de sa condamnation pour fraude fiscale, il y a quelques années, il est inéligible. Tête d’affiche du parti, il n’était donc en réalité qu’un faire-valoir plutôt qu’une réelle proposition de gouvernement. D’ailleurs, personne n’y a vraiment cru, « il était une façade, une vitrine » qui attirait les votes par son histoire politique, plutôt que pour ses idées.
La coalition formée avec Giorgia Meloni du parti extrémiste « Fratelli d’Italia » et Matteo Salvini de la Ligue était basée autour d’un point : le parti de la coalition qui remporte le plus de voix décidera du nom du Premier Ministre. En s’affichant en campagne, Berlusconi pensait ainsi garantir à son parti la présidence du Conseil avec une large avance sur ses deux alliés.
Si la coalition de droite a bel et bien remporté ces élections avec au total 35 % des voix, c’est la Ligue qui ressort majoritaire avec 17 % des voix contre seulement 14 % pour le parti de Silvio Berlusconi. Le « Cavaliere » signe là un échec politique qui ne lui laisse que peu d’avenir au sein de la politique italienne.
La révélation Salvini
Relativement inconnu en France, Matteo Salvini est pourtant l’une des figures clés de la politique italienne. À la tête de la Ligue du Nord, parti qui met en avant depuis les années 1990 les intérêts du Nord du pays, face au Sud, bien plus pauvre, il a souhaité la renommer en Ligue, afin de s’inscrire dans une posture bien plus nationale désormais, nationaliste et xénophobe, ce qui inquiète : « la montée de la Ligue, ça fait peur » avoue Anna.
Soutenu par Marine Le Pen, qui n’a pas hésité à saluer personnellement cette victoire lors du congrès du FN, Matteo Salvini souhaite une Italie souveraine, hors de l’euro, qu’il estime être « un crime contre l’humanité ». Clip de campagne à la manière d’un blockbuster d’Hollywood, présence permanente sur les réseaux sociaux avec les citoyens, mais aussi blagues graveleuses et vulgaires, Salvini occupe l’espace médiatique et c’est là la clé de son succès. « Il n’était pas spécialement populaire, mais peu à peu tout le monde s’est mis à en parler et du coup, tout le monde le connaît. Mais il n’y a pas grand-chose derrière » selon Alice.
Sa victoire face au parti de Silvio Berlusconi lui confère la place prépondérante au sein de la coalition, il devient l’homme clé de ces élections et probablement… Le futur Président du Conseil italien.
L’échec Renzi
L’ancien Premier ministre du Parti Démocrate Matteo Renzi n’aura pas réussi son pari de revenir au gouvernement. En effet, démissionnaire à la suite de la victoire du « Non » lors du référendum du 4 décembre 2016, il avait été remplacé par Paolo Gentiloni, issu du même parti. Ces élections représentaient pour lui la possibilité de revenir dans le jeu politique italien. Anna et Giorgia, de gauche, ont souhaité « voter utile », et soutenir Renzi, même si ce n’était pas leur candidat favori : « La gauche était trop fragmentée, éparpillée. J’ai voté Renzi parce qu’à un moment, pour gagner il fallait se rassembler », explique Anna.
Mais les urnes l’ont désavoué, car avec seulement 18 % des voix, Matteo Renzi réalise l’un des pires scores de la gauche italienne. La coalition de gauche dans son ensemble atteint à peine les 22 %. Cet échec a donc entraîné la démission du leader démocrate dès lundi. Il a toutefois précisé qu’il restait à la tête de son parti jusqu’à la formation du nouveau gouvernement.
L’avenir de la gauche semble donc morose, à moins d’une refonte en profondeur. « Il existe une gauche italienne. Maintenant, il faudrait se rassembler et former un seul parti. Leur problème, c’est qu’ils n’ont plus de contact avec les gens, ils se sont éloigné de leur base électorale », décrit Giorgia.
Une opposition entre européistes et souverainistes
On l’aura compris, cette élection, plus qu’une lutte gauche/droite, aura été davantage une opposition entre les souverainistes et les pro-européens. Une idée qu’appuie en partie Alice, franco-italienne et européiste dans l’âme : « En France, j’ai cédé au vote utile lors des présidentielles. Alors en Italie, j’ai voulu affirmer mon choix. J’ai voté +Europa, un parti davantage à gauche que Renzi. C’est ce qui est correspond le plus à mon opinion ».
Cette bataille a cependant largement été gagnée par les souverainistes, Mouvement 5 Étoiles et Ligue en tête. L’avenir de l’Italie est donc entre les mains de forces politiques qui souhaitent « reprendre le contrôle face à Bruxelles ». En fait, selon Alice et Giorgia, « les électeurs n’adhèrent pas forcément aux idées de la Ligue, mais ils veulent voter contre les autres ».
Les causes de ce rejet européen trouvent principalement leur source sur les côtes italiennes. Depuis quelques années la crise des migrants touche fortement l’Italie. Laissé relativement seul par l’Europe, le pays a du mal à faire face au flux continu de migrants qui arrivent par bateau. Incapable de gérer ces arrivées massives sans un réel appui européen, le pays déjà fragilisé par un contexte socio-économique pessimiste, a trouvé refuge dans le repli nationaliste et anti-immigration. Beaucoup d’Italiens ont le sentiment d’être laissés pour compte par le gouvernement, trop occupé par le sort des réfugiés et les instructions économiques européennes. L’Europe devient la source de tous les maux, une sorte de coupable sous la main, facile à dégainer, comme dans beaucoup de pays à l’heure actuelle.
Marianne Chenou