Tribune – La mise en examen de Nicolas Sarkozy pour abus de faiblesse dans le cadre de l’affaire Bettencourt aura eu le mérite de rappeler une chose. L’UMP reste un grand parti de droite, capable de se mobiliser en un éclair pour mener une campagne médiatique de grande intensité. Hélas, le battage médiatique organisé pour défendre l’ancien président est tombé dans les travers cultivés par la droite en matière judiciaire.
Lorsqu’un homme politique ordinaire est mis en examen, sa carrière s’arrête pour un instant. Il publie un communiqué « niant formellement » les accusations portées contre lui. Ses alliés le placent en quarantaine, sous couvert de « respect de la présomption d’innocence » et de « laissons la Justice faire son travail ». Avec un peu de chance, l’homme pourra faire un discret retour, une fois l’affaire oubliée.
Mais Nicolas Sarkozy est une personnalité d’une autre trempe, que ses alliés considèrent à raison comme indispensable. Au moment de sa mise en examen, son retour aux affaires, savamment travaillé depuis des mois, vient d’éclore avec grâce et se voit déjà récompensé de sondages encourageants. Après la pathétique débâcle du duel entre François Fillon et François Copé, l’ancien président représentait plus que jamais le leader naturel de l’UMP.
Il n’est donc pas surprenant que la machine à communiquer du parti ait réagi avec violence lorsque le juge Gentil a menacé ce bel édifice. Une tempête de réactions indignées s’est abattue sur les médias français, dirigée avec une maestria que l’on n’avait pas connue depuis la fin de la campagne présidentielle.
Le bon, le juge et les truands
Le soir même de l’annonce de sa mise en examen, l’UMP s’organise sur deux fronts bien distincts.
Côté défensif, tout micro à portée de voix est mis à contribution pour protéger la personnalité de Nicolas Sarkozy. Geoffroy Didier est « intimement persuadé de la parfaite intégrité de l’ancien président de la République ». Claude Guéant pousse légèrement le pathos et se lamente : « C’est complètement infamant. Qui imagine que Nicolas Sarkozy profite de la faiblesse d’une vieille dame pour lui soutirer de l’argent ? ». Une des plus importantes affaires politico-financières de ces dernières années est réduite à l’équivalent d’une arnaque aux tarifs de plomberie, mais le message passe. Adressé aux convaincus, aux militants et soutiens de Nicolas Sarkozy, c’est le signal rassembleur de la droite.
L’aspect offensif est encore moins élégant. Il s’agit d’attaquer brutalement et systématiquement la personnalité du juge Gentil, de décrédibiliser l’ensemble de la procédure judiciaire à travers lui. Henri Guaino endosse, avec enthousiasme, les habits de porte-flingue : « Je dénonce la façon dont il fait son travail, je la trouve indigne. », déclare-t-il sur Europe 1. « Je trouve qu’il a déshonoré un homme, il a déshonoré les institutions, il a déshonoré la Justice. »
Il est bientôt rejoint par Nadine Morano, qui compare la mise en examen de Nicolas Sarkozy à l’affaire d’Outreau et parle du juge Gentil comme étant « un juge engagé ». Pourtant, depuis Outreau, trois juges doivent valider les actions prises sur des dossiers d’importance. La mise en examen de Nicolas Sarkozy émane donc d’une décision collégiale. Qu’importe ! Tant que le juge est un bourreau, l’ancien président ne peut être qu’une victime.
La Justice désacralisée
Cette campagne médiatique a montré une nouvelle fois, que l’UMP développe une idée pervertie de l’institution judiciaire. Selon Geoffroy Didier, le parquet inflige une punition personnelle à Nicolas Sarkozy, « sans doute pour avoir dit un certain nombre de vérités, sans doute pour avoir condamné les dérives du milieu judiciaire lorsqu’il était président de la République ». Ces propos ne relèvent pas uniquement du délire de persécution.
La communication de l’UMP traite aujourd’hui la Justice, un des pouvoirs fondamentaux d’une démocratie, comme une organisation conventionnelle. Il est désormais légitime pour un politicien professionnel de considérer que le « milieu » judiciaire agit avec ses propres intérêts, et non les règles du droit, en tête. Dans la rhétorique du parti, la Justice et les juges, intellectuels et donc forcément gauchistes, se situent au même niveau que les médias et les journalistes ou l’éducation nationale et les profs.
Face à cette terrifiante perte de statut d’un des trois pouvoirs de la République, face à ces « dérives », quelle est la Justice rêvée par l’UMP ? Elle apparaît encore une fois au détour d’une phrase, cette fois chez Henri Guaino qui parle de la décision de mise en examen de Nicolas Sarkozy. « Cette décision est irresponsable » déclare-t-il, « elle n’a pas tenu compte des conséquences qu’elle pouvait avoir sur l’image du pays, de la République, de nos institutions ». Il oublie ainsi que le rôle d’un parquet indépendant est de ne pas tenir compte des conséquences d’une décision juste. Nicolas Sarkozy s’est attiré le mécontentement des magistrats durant son mandat pour les mêmes raisons. Pendant cinq ans, ses interventions ont systématiquement visé à inféoder les décisions judiciaires à sa vision politique.
Au moment où 87% des français déclarent vouloir trouver « un vrai chef », l’UMP présente la vision attrayante, mais démagogique, d’une Justice suivant fidèlement le décideur politique sur la voie d’un grand idéal national. La droite et ses extrêmes en arrivent à oublier que la Justice elle-même représente un grand idéal national.
Titouan Lemoine