C’est devenu une tradition. Chaque année, le Front National organise un défilé pour le 1er mai.
Cette année, la classe politique française est en lambeaux. Un an après l’élection de François Hollande, le divorce entre les socialistes et l’extrême-gauche semble irrémédiable, Jean-Luc Mélenchon ne manquant plus aucune occasion de fustiger le gouvernement socialiste. L’UMP, après avoir bénéficié d’une brève accalmie grâce à l’affaire Cahuzac et l’opposition, est rattrapée par ses propres divisions et ses déboires judiciaires. Les Verts font pâle figure au gouvernement et les centristes peinent à faire entendre leur voix dans les tempêtes actuelles. Même les syndicats ont fini par se diviser : le contentieux entre la CGT et la CFDT au sujet de l’ANI semble insurmontable.
Dans ce climat délétère, seule Marine Le Pen semble tirer son épingle du jeu. Crédité de 17,9% d’intentions de vote en 2012, le FN est maintenant à 23%. Comme l’a récemment titré l’Express : « Et pendant ce temps … Elle Monte ! ».
C’est dans ce contexte politique très particulier, dans lequel les syndicats ont défilé séparément et les socialistes sont restés au chaud chez eux, que le Front National a organisé son grand rassemblement annuel du 1er mai.
Premier constat : il n’y avait pas grand monde. Alors que le rassemblement de 2012 avait attiré près de 7500 manifestants, celui d’hier a à peine réussi à remplir la moitié de la place de l’Opéra.
Le cortège frontiste s’est élancé de la place des Pyramides, lieu de la célèbre statue de Jeanne d’Arc auprès de laquelle le FN se rassemble tous les 1er mai depuis 1979, peu après 10h. Le défilé est précédé par un impressionnant dispositif policier chargé de prévoir tout débordement. Sur les trottoirs de l’avenue de l’Opéra, on ne voit que des militants aux cheveux très courts, des journalistes de tous les grands médias, et quelques touristes étrangers égarés qui n’ont pas l’air de comprendre ce qui se passe.
Les militants FN essayent, tant bien que mal, de compenser leur faible nombre par toutes sortes de slogans scandés haut et fort : « Flamby démission ! », « On est chez nous ! » ou encore « Médias collabos ! ». Mention spéciale pour les journalistes du Petit Journal, qui ont eu droit aux pires insultes.
Malgré la faible affluence, l’installation du meeting est impressionnante. Face à la grande tribune encadrée par des écrans géants et des hauts-parleurs, les photographes de presse et les caméras de télévision ont été installés sur une plate-forme de cinq mètres de haut qui leur permet de surplomber la foule.
Seule véritable surprise du défilé : la proportion de jeunes militants. Affublés de t-shirts aux couleurs du FN, ce sont ceux qui se font le plus entendre.
On peut même voir de très jeunes militants.
Vraiment très jeunes.
Sans oublier bien évidemment le lot habituel de vétérans.
Il est 11h lorsque que les manifestants, qui viennent de parcourir la folle distance de 800 mètres, commencent enfin à remplir la place. C’est l’occasion de s’acheter un casse-croûte dans la camionnette cabossée qui ne vend ni burgers ni kebabs, mais que des jambon-beurres. Les manifestants les plus assoiffés en profitent pour se prendre une petite mousse bien méritée.
A mesure que les militants se regroupent devant la tribune, la place de l’Opéra se couvre de drapeaux et bannières en tous genres.
Cet oriflamme en particulier a aussi attiré l’attention d’un journaliste d’Europe 1. La charmante demoiselle, affublée d’un blouson noir et d’un t-shirt Lionsdale, qui le brandissait lui a précisé, très fièrement, qu’elle s’en servait pour « établir un périmètre de sécurité »…
Faute de pouvoir m’approcher autant que je l’aurais souhaité, je me résigne à déambuller dans la foule afin d’en capter l’ambiance.
En attendant la grande star du jour, la régie passe When the Saints go marching in en boucle. Ce bon vieux gospel bien de chez nous n’est interrompu que sporadiquement par des slogans anti-gouvernementaux, anti-européens voire franchement xénophobes.
Vers 11h40, le maître de cérémonie annonce l’entrée sur scène des chefs de sections, suivis par Gilbert Collard, Marion Maréchal-Le Pen, Jean-Marie Le Pen, et enfin Marine Le Pen, le tout sous des vivats croissants.
Annoncé à midi, pour des raisons de retransmission télévisuelle, le discours fleuve de Marine Le Pen commence finalement vers 11h50. Ce discours, un brin répétitif, reprend les bonnes vieilles rengaines du FN : la France est victime « des temps obscurs », submergée par les « ténèbres de l’Europe » et menacée de mort par les exactions de « l’UMPS ».
Convaincue que son mouvement politique correspondrait à un mouvement d’ampleur historique, Marine Le Pen s’emploie à faire correspondre l’histoire du FN celle de la France. Voulant sans doute récupérer les électeurs du président précédent, elle consacre notamment plus de temps à Nicolas Sarkozy qu’à François Hollande. Jean-Luc Mélenchon et le Syndicat de la Magistrature sont les deux noms les plus hués, alors qu’une longue citation de Maurice Druon est vivement applaudie.
Dans son réquisitoire impitoyable contre « le Système », Marine Le Pen annonce très clairement son intention de conquérir le pouvoir. Les élections européennes ne sont même pas évoquées, l’étape la plus importante dans l’immédiat pour le FN étant les élections municipales.
Ce sera grâce à une éventuelle future implantation locale, que le FN pourra alors se consacrer à son but ultime : l’élection présidentielle de 2017. Culte du chef oblige, ni le grand patriarche, ni les deux députés du FN n’ont pu s’exprimer. Il ne faudrait quand même pas faire de l’ombre à Marine, à quatre ans de cette grande échéance.
Marine Le Pen n’a aucun mal à convaincre cette foule de fidèles, chaque harrangue faisant mouche. Au final, le plus important pour Marine Le Pen est d’être prise en photo devant une foule artificiellement dense : l’électorat qu’elle vise n’est pas sur la place de l’Opéra mais derrière sa télévision.
Ce n’est qu’après une Marseillaise de rigueur, que le rassemblement s’achève. Les militants se dispersent alors rapidement, non sans oublier de jeter un billet ou une pièce dans le grand drapeau utilisé pour faire la quête : leur grande messe annuelle est terminée, rendez-vous l’année prochaine.
Arnaud Salvat