Le programme nucléaire iranien reste extrêmement controversé. Depuis des années, Téhéran refuse de se soumettre aux normes internationales de sécurité nucléaire pour ses installations civiles. Depuis le 7 novembre, les chefs des diplomaties des plus grandes nations mondiales sont mobilisés à Genève dans le but de trouver un compromis.
Un seul enjeu : parvenir enfin à un accord grâce à la conférence de Genève. Du côté iranien, on souhaite la levée de certaines sanctions et une autorisation pour la poursuite du programme nucléaire. Côté occidental, on plaide pour une totale transparence du nucléaire iranien et une soumission aux contrôles internationaux. En octobre, l’Iran avait déjà accepté de se soumettre à des contrôles de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) inopinés, cédant à une exigence de John Kerry.
Face à ces semblants de bonnes volontés, l’Iran doit cependant faire face à deux opposants intransigeants : Israël – qui a d’ores et déjà annoncé qu’elle s’opposerait à tout accord – et la France. Seule force nucléaire présente dans la région, Israël considère en effet que tout programme nucléaire iranien lui causerait préjudice. Le premier ministre Benyamin Nétanyahou déclare même « qu’Israël se réserve toujours le droit de se défendre lui-même, par ses propres moyens, contre toute menace », ce à quoi Mohammad Javad Zarif – ministre des affaires étrangères iranienne – rétorque qu’Israël est « la principale source d’instabilité de la région. »
La France, elle, a de nombreuses fois prôné l’usage de la force pour faire entendre raison à l’Iran. Diplomatiquement, la France ne peut concevoir la possibilité d’un usage civil du nucléaire en Iran, notamment à cause des zones d’ombres qui entourent ce projet. Téhéran a pour sa part, toujours nié l’utilisation militaire du nucléaire.
Une ouverture des deux côtés semble être en passe de se produire. En effet, les ministres des affaires étrangères français, anglais, allemand, américain mais aussi russe et chinois ont rejoint Genève pour entamer une discussion avec l’Iran, alors que la réunion ne devait avoir lieu qu’entre certains diplomates et Mohammad Zarif.
Pourtant, le 8 novembre, M. Zarif déclarait n’être pas encore totalement satisfait des avancées, la faute possible à une trop importante intransigeance française. Une rencontre entre Laurent Fabius, John Kerry et Catherine Ashton, chef de la diplomatie de l’UE, a alors eu lieu en marge du rassemblement, certainement pour trouver un compromis. Laurent Fabius est aujourd’hui critiqué pour une position jugée trop ferme par ses homologues et affirme vouloir trouver un accord tout en mettant les différents acteurs en garde contre un possible « jeu de dupes. »
Cette réunion avait pour objet de trouver un accord sur les points suscitant le plus de divergence, à savoir l’usage réel du stock d’uranium enrichi à 20% (lorsque l’uranium franchit le seuil des 20%, on peut alors l’enrichir rapidement jusqu’aux 90% nécessaires à une utilisation militaire), la construction du réacteur à eau lourde d’Arak et enfin la possibilité d’un enrichissement de l’uranium à plus long terme. Les discussions portent également sur un éventuel gel du programme nucléaire iranien assorti d’un allègement des sanctions occidentales pour une période de six mois ; période qui devrait permettre de trouver enfin un accord définitif. L’embargo pétrolier qui touche l’Iran nuit extrêmement à son économie, l’exportation de pétrole est limitée voire inexistante. Une situation difficile pour un pays qui en était l’un des plus grand fournisseur mondial.
Historique du problème nucléaire iranien
Le programme nucléaire iranien a toujours soulevé de vives inquiétudes mais c’est depuis 2002 qu’elles se sont réellement matérialisées, lorsque des opposants au régime en place ont révélé l’existence de sites nucléaire secrets.
En 2002, un dissident au régime iranien – Alireza Jafarzadeh– révèle que l’Iran, sur le site tenu secret de Natanz, a crée un programme d’enrichissement d’uranium à des fins militaires. Bien vite, face à l’engagement de l’Allemagne, de la France et du Royaume-Uni, l’Iran accepte de subir des contrôles inopinés de l’AIEA.
En 2005, Mahmoud Ahmadinejad remporte les présidentielles et durcit immédiatement le ton sur la question nucléaire. Le programme d’enrichissement reprend. En 2006, l’AIEA transmet le dossier nucléaire iranien à l’ONU après que des transgressions ont été constatées. En réaction, Ahmadinejad décide de ne plus appliquer le protocole TNP (Traité de non-prolifération des armes nucléaires) signé en 2003. En décembre, après que les négociations ont été engagées sans succès entre les forces occidentales et l’Iran, les premières sanctions économiques sont imposées par l’ONU sous la résolution 1767. À partir de là, tout s’accélère et l’Iran, loin d’être impressionné par ces sanctions, redouble d’efforts dans son programme. Dès 2007, le président Ahmadinejad déclare que l’Iran est désormais en possession d’assez d’uranium enrichi pour créer une arme nucléaire, déclaration mise en doute par l’AIEA.
En mars 2008, le conseil de sécurité de l’ONU durcit ces sanctions économiques et commerciales. Le groupe des 5 + 1 – Russie, Etats-Unis, Chine, France et Royaume-Uni + Allemagne – propose un compromis à l’Iran : si le pays abandonne son programme d’enrichissement d’uranium, les grandes puissances reconnaîtront le droit iranien à la recherche nucléaire à des fins pacifiques. Ignorant ce compromis, l’Iran franchit même un cap en 2009 en se dotant d’assez d’uranium enrichi pour fabriquer une arme nucléaire, prouvant qu’une telle arme était inconcevable en 2007 malgré la déclaration d’Ahmadinejad. L’Iran teste notamment un missile balistique capable théoriquement d’atteindre Israël.
En 2010, le ton se durcit et les États-Unis déclarent avoir un plan de bombardement tactique destiné à réduire à néant les capacités nucléaires iraniennes. Un scientifique nucléaire iranien décède lors d’un attentat à la bombe, les autorités iraniennes accusent alors la CIA et le Mossad d’en être les instigateurs.
Fin 2011, les puissances occidentales prennent des mesures lourdes contre les secteurs bancaires et pétroliers iraniens : les avoirs sont gelés et un embargo pétrolier est instauré en 2012. La Russie juge ces mesures inacceptables alors que l’Iran les déclare sans effets. Depuis l’accession au pouvoir du modéré Hassan Rohani, le discours a changé du côté iranien. Il se dit prêt pour des « négociations sérieuses » sur le nucléaire.
La possibilité d’un accord sur le nucléaire entre l’Occident et l’Iran pourrait alors avoir une portée bien plus importante qu’elle ne le laisse imaginer. En effet, dans un contexte politique extrêmement tendu au Moyen-Orient, cet accord pourrait contribuer à une évolution des rapports qu’entretiennent les pays de cette région avec leurs homologues américains et européens. Cela pourrait éventuellement désamorcer des conflits en devenir car, si l’accord satisfait les deux parties, il impliquerait une reconnaissance de la souveraineté iranienne aux yeux du monde.
Simon Sainte Mareville