En Allemagne depuis quelques semaines, les affiches pour les élections européennes ont investi les rues. Une nouvelle fois, les pancartes accrochées aux arbres présentent les sourires figés des têtes de liste des plus grands partis allemands. Au total, 25 partis. Parmi eux, un petit nouveau. Avec ce slogan « Le printemps de l’Europe commence en mai », ou encore « Remettons l’Europe sur pied ». Ces slogans sont représentatifs de ce que les sondages prévoient pour les élections européennes de mai 2014 : un fort taux de vote en faveur des partis anti-européens.
Une évolution plutôt uniforme dans toute l’Europe
On les appelle aussi les eurosceptiques. Mais de quoi doutent-ils ? De l’intégration européenne à la monnaie unique, comment savoir ce que les partis anti-européens visent précisément par le simple mot « Europe » ? Ces partis politiques ne sont pas une exception des pays du sud de l’Europe rongés par l’austérité. L’Allemagne, pourtant vue comme le leader de l’Union Européenne et notamment des décisions économiques prises lors de la crise de la dette, a récemment enfanté un nouveau parti eurosceptique : AfD, l’Alternative pour l’Allemagne. Créé début 2013, ce parti est le visage le plus récent de l’euroscepticisme allemand. Fondé et dirigé par des « intellectuels », des déçus de la CDU (le parti d’Angela Merkel, l’Union chrétienne-démocrate) ou des économistes, l’AfD ne se dit ni de droite ni de gauche. En Allemagne, on hésitait à les dire populistes. Depuis qu’ils sont passés à 0,3% de pouvoir entrer au Bundestag (le parlement allemand) aux dernières élections législatives, on hésite moins. En France, ce score de 4,7% de voix a été vu comme un succès, d’autant plus que ces élections étaient les premières auxquelles l’AfD participait. Rappelons que dans le même temps le FPD, le parti libéral-démocrate, a perdu 10 points sur son score entre les législatives de 2009 et de 2013 : en passant de 14,6 à 4,8% et passant sous la barre des 5 %, il a été évincé du Bundestag.
Deux cibles : la monnaie unique et les institutions
Les deux revendications principales de l’AfD sont la sortie de l’euro, et la démocratisation des institutions politiques européennes : le Parlement européen, élu, devrait avoir plus de poids que la Commission européenne, non élue, par exemple. Le peuple devrait avoir plus de pouvoir que ce que le parti appelle « la bureaucratie bruxelloise ». L’AfD est de l’avis que chaque pays devrait retrouver sa devise nationale, notamment car l’Allemagne aurait trop payé pour le sauvetage des pays en crise. Leur programme propose même une union monétaire du nord de l’Europe, et une du sud. En bref, dans le cadre de l’AfD, il faut comprendre l’euroscepticisme comme une doctrine plutôt anti-euro qu’anti-Europe. Le parti avance que sauver l’euro (comprendre, l’abandonner) sauvera l’Europe.
Euroscepticisme : thème et variations
Le terme euroscepticisme est opaque en cela qu’il rassemble sous la même étiquette des partis qui prônent les mêmes changements, mais pas pour les mêmes raisons. Ainsi, die Linke (le parti de gauche allemand), qui se définit comme un parti de gauche et en aucun cas un parti eurosceptique, proteste contre les millions investis dans les banques pour sauver l’euro et se demande lui aussi s’il ne faut pas abandonner cette monnaie commune (le conflit divise en ce moment même le parti). L’abandon de l’euro est donc une conviction partagée par la moitié du parti Die Linke et c’est aussi la position défendue par l’AfD. Mais pas pour les mêmes raisons : l’AfD milite pour plus de compétitivité dans un pays souverain, tandis que la gauche est contre l’austérité et souhaite harmoniser la législation européenne pour organiser une union sociale. Les deux partis ne s’opposent pas de la même manière à l’Europe mais le même terme leur est attribué sans distinction.
La page Wikipédia dédiée au terme « euroscepticisme » se trompe lorsqu’elle définit ce courant comme « l’opposition à l’intégration européenne et à l’Union Européenne dans son ensemble, basée notamment sur un doute quant à sa viabilité ou son utilité. » En réalité, l’euroscepticisme ne désigne pas une opposition en bloc à tout ce qui se rattache à l’Europe : seulement certains points sont visés. Pour Angela Merkel, « si l’euro échoue, c’est l’Europe toute entière qui échoue. » Or, pour les eurosceptiques, non. Là réside la complexité de ce courant. En outre, chaque parti a une ligne d’argumentation différente : cette hétérogénéité est visible dans la composition du Parlement Européen. Le groupe politique « Europe de la liberté et de la démocratie », pourtant considéré comme le groupe eurosceptique par excellence, ne rassemble pas tous les partis européens eurosceptiques.
Un courant d’idées trop souvent présenté superficiellement
En Allemagne, pour qui l’intégration européenne après la deuxième guerre mondiale a été une aide au rétablissement de la démocratie et de l’économie, les eurosceptiques sont souvent rapidement taxés de populistes et de nationalistes. Katri Vallaste, une chercheuse estonienne, cherche à réhabiliter les eurosceptiques dans la vie politique. Elle montre comment les arguments de fond de ceux-ci sont moins exposés dans les médias que ceux des europhiles. La principale manière dont on présente les eurosceptiques, c’est par des raccourcis entre populisme et extrême. Cette chercheuse ne prend pas position, mais rappelle que l’euroscepticisme est un courant d’opposition et qu’il devrait bénéficier d’un réel espace de liberté d’expression. C’est une réalité que bon nombre de citoyens européens se sentent loin des prises de décision de l’Union Européenne. Une statistique très utilisée rappelle que 2 Allemands sur 3 pensent qu’ils iraient personnellement mieux si le Deutsche Mark était rétabli. Tant qu’il représente une opinion publique, tout parti est légitime de participer au débat public dans le but de le faire avancer.
Depuis déjà quelques temps, certains partis eurosceptiques se font des offres les uns aux autres dans l’espoir de créer un nouveau groupe politique au sein du Parlement européen. Sur le modèle du slogan anti-nucléaire « Atomkraft ? Nein, danke ! », les eurosceptiques appellent de plus en plus les citoyens européens à penser « L’Europe ? Non merci ! ».
Nina Beltram