La garde à vue puis la mise en examen récente de Nicolas Sarkozy — accusé de corruption active, trafic d’influence et recel de violation du secret professionnel – marquent une première dans l’histoire de la Cinquième République. Retour sur quelques-uns des scandales judiciaires les plus retentissants de notre histoire proche, scandales impliquant les différents chefs d’État français depuis 1958.
L’affaire Marković, 1968-9
Stefan Marković est retrouvé mort le 1 octobre 1968. L’homme était connu pour avoir été le garde du corps d’Alain Delon ainsi que l’amant – éphémère – de l’épouse de ce dernier. Lorsque son cadavre est retrouvé, les enquêteurs découvrent une correspondance privée qu’il entretenait et qui mentionne explicitement deux noms : Alain Delon et François Marcantoni. Les deux hommes sont entendus mais l’enquête évolue, dévie et finit par suivre une voie obscure. Marković était en effet également connu pour les soirées à tendance libertine qu’il organisait et auxquelles il conviait de hauts fonctionnaires. L’homme était soupçonné d’extorquer de l’argent à ses invités en les menaçant de dévoiler des photographies prises à leur insu et qui auraient alors fortement compromises leurs carrières respectives. Une rumeur enfle : Claude Pompidou, la compagne de Georges, figurerait sur certaines de ces images. Criant au scandale, Georges Pompidou obtint gain de cause et ne fût jamais inquiété par la justice et à raison, il n’a en effet été victime que d’obscures calomnies. Cette affaire n’entacha nullement sa carrière et il fut élu à la plus haute fonction d’État un 15 juin 1969. Pour ce qui est de Marković, personne ne découvrit jamais l’auteur de l’assassinat.
Les diamants de Bokassa, 1979
Le Canard Enchaîné révèle que des diamants d’un valeur estimée à un million de francs auraient été remis à Valéry Giscard d’Estaing en 1973 alors qu’il occupait le poste de ministre des Finances. Le Monde, la presse internationale et le Canard Enchaîné continuent de mettre en cause le président français sans qu’il n’intervienne publiquement pour récuser les faits. La vérité finit cependant par éclater : les documents trouvés par le journal satyrique s’avéraient être des faux, montés par Bokassa — président de la République centrafricaine — aidé de Roger Delpey — nationaliste d’extrême-droite. Cette affaire ne resta pas sans conséquence et il est de l’avis de beaucoup que c’est bien elle qui causa la défaite de Giscard d’Estaing aux présidentielles de 1981.
L’affaire Luchaire, février 1986
Cette affaire n’a pas fait grand bruit mais c’est un scandale retentissant. La France aurait effectivement contourné l’embargo imposé à l’Iran en lui livrant trois cargos d’obus alors même que le pouvoir était officiellement engagé auprès de l’Irak lors du conflit opposant les deux nations. Le fait est que le juge d’instruction en charge de cette affaire déclara vite un non-lieu sur une note du ministre de la Justice de l’époque, Pierre Arpaillange. Cette ingérence des plus hautes instances de l’État dans le milieu judiciaire était apparemment chose courante à une époque où toute mise en cause d’un chef d’État dans une quelconque affaire était jugée comme tabou. François Mitterrand ne fut donc jamais inquiété.
L’affaire des écoutes, de 1983 à 1986
Du premier jour de son septennat au dernier de son second, le nom de François Mitterrand a été associé à nombre d’affaires sans jamais être inquiété. Ces scandales sont pourtant loin d’être anodins : le président souhaitait en 1982 la mise en place d’une cellule anti-terroriste dans les bureaux de l’Élysée pour assurer sa protection suite à l’attentat de la Rue des Rosiers. Si l’objectif premier de la création de cette cellule était de découvrir qui étaient les responsables de l’attentat, on apprend que les écoutes s’éloignaient peu à peu de leur but pour servir les intérêts exclusifs de François Mitterrand. Ce sont plus de cent cinquante personnes qui verront leurs appels surveillés, Carole Bouquet et Edwy Plenel en sont deux victimes. Il faudra attendre vingt ans pour qu’un tribunal ne se charge de cette affaire d’État retentissante et c’est en 2005 que la culpabilité de Mitterrand est pointée du doigt. Problème, celui-ci s’est éteint huit ans auparavant et n’aura donc pas été inquiété par la justice de son vivant.
Les emplois fictifs, années 90
Jacques Chirac, maire de Paris, est accusé pour deux affaires d’emplois fictifs : la première porte sur sept emplois financés par Paris entre 1990 et 1994 octroyés à des membres du RPR tandis que la seconde met en cause vingt et un emplois de complaisances créés entre 1992 et 1995. Les poursuites initialement menées en 1995 ont été suspendues jusqu’en 2007 du fait de l’immunité pénale accordée à tout chef d’État. Ces affaires ont grandement secouées le monde politique français qui n’a pas hésité à remettre en cause l’immunité présidentielle relative à des faits antérieurs à la prise de fonction. Quoi qu’il en soit, Jacques Chirac fut jugé coupable pour « détournement de fonds publics, abus de confiance et prise illégale d’intérêts » le 15 décembre 2011, devenant ainsi le premier président de la République français a écoper d’une peine en correctionnelle. Il est intéressant de noter que le parquet a requis la relaxe pour Jacques Chirac ainsi que pour ses coprévenus mais que le juge n’en a nullement tenu compte.
Au vu de ces affaires, on comprend pourquoi la mise en examen de Nicolas Sarkozy est un tel coup de tonnerre dans le paysage politique français. Il est cependant important de rappeler que l’ancien chef de l’État est présumé innocent jusqu’à ce qu’un juge décide — ou non — du contraire. Une chose est toutefois sûre, le tabou qui existait autrefois autour de la plus autre fonction d’État n’est plus et c’est une preuve — certes toute relative — que chaque français est un justiciable comme un autre. L’affaire « Nicolas Sarkozy » ne fait que commencer et c’est une nouvelle page de l’histoire de la Cinquième République qui est sur le point d’être écrite, reste à savoir quel en sera le dénouement.
Simon Sainte Mareville