Ce dimanche 29 mars se déroulait le deuxième tour des élections départementales. Sans grande surprise, la droite est arrivée en tête et la gauche a perdu un nombre considérable de départements.
Comme souvent lors des soirées électorales, les femmes et hommes politiques tenant des discours ou invités sur les plateaux de télévision nous livrent des analyses quelque peu biaisées des résultats. À les entendre, on peut parfois penser que personne n’a perdu – ou plutôt que tous les autres ont perdu sauf eux – ou du moins qu’ils ont fait un meilleur résultat que prévu – on se contente parfois de peu dans ces cas-là. Le deuxième tour des élections départementales n’a pas dérogé à la règle et quelques questions demeurent.
Adhésion aux valeurs défendues par la droite ou rejet de la politique gouvernementale ?
Bien que les élections départementales soient, comme leur nom l’indique, avant tout des élections locales, celles de 2015 semblent avoir pris une signification beaucoup plus large. Que ce soit Manuel Valls, Nicolas Sarkoy ou Marine Le Pen, tous les chefs de file des partis se sont investis dans la campagne électorale en appuyant sur l’enjeu national. Au point où l’on pouvait même parfois avoir l’impression d’assister à une forme de référendum pour ou contre la politique menée par le gouvernement.
Dans ce cas de figure, quelles conclusions tirer d’un tel résultat? Doit-on y voir une adhésion au programme de la droite? Ou simplement l’expression d’une sanction envers le gouvernement dont les résultats laissent encore à désirer, notamment en matière de baisse du chômage? En d’autres termes, est-ce la droite qui a gagné ou la gauche qui a perdu?
S’il est difficile d’analyser les raisons pour lesquelles chaque citoyen met tel bulletin dans l’urne plutôt qu’un autre, on peut toutefois déduire sans prendre trop de risques que la gauche a déçu, que son programme n’a pas su mobiliser les électeurs. La gauche, qui contrôlait 61 départements, n’en obtient plus que 34. 28 départements sont passés de gauche à droite, et un seul, la Lozère, a fait le basculement inverse. La droite, elle, est passée de 40 départements avant l’élection à au moins 67. Parmi les départements perdus par la gauche, certains sont emblématiques. Entre les Côtes-d’Armor, les Bouches-du-Rhône, bastions symboliques, et la Corrèze de François Hollande, l’Essonne de Manuel Valls ou encore le Nord de Martine Aubry, certaines pertes sont douloureuses.
Cette défaite ne concerne pas que la gauche gouvernementale. Le Parti Communiste ne conservera à priori qu’un seul département sur les deux qu’il contrôlait avant l’élection. Les listes de gauche non gouvernementales – dont les alliances Front de Gauche – EELV – ont réalisé elles aussi de très mauvais scores dès le premier tour. C’est d’ailleurs ce premier tour qui a souvent été déterminant. Les divisions de la gauche face à des listes de droite et du centre souvent unies ont eu raison d’un nombre considérable de binômes de gauche dès le soir du 22 mars. Surtout quand on ajoute la trentaine de binômes de gauche qui se sont retirés au nom du désistement républicain lors de triangulaires face au FN.
Ces élections ont-elles été une réussite pour le Front National?
Le Front National, lui, a réalisé un score historique. S’il n’a pas remporté de département, il obtient une soixantaine de conseillers départementaux, contre un seul lors de la mandature précédente. Il réalise en outre des avancées considérables dans des départements comme le Gard ou le Pas-de-Calais. Il paraît difficile de le décrire comme le premier parti de France, titre dont s’affublent la plupart de ses leaders, mais on peut tout aussi difficilement analyser le vote FN comme un vote essentiellement contestataire. Si ce n’était pas déjà le cas, l’ère du tripartisme semble de plus en plus présente.
Quoi qu’il en soit, ce qui est certain, c’est que la stratégie de stigmatisation du FN par les autres partis ou par les médias ne fonctionne pas. Se présenter avec pour principal objectif de battre le parti lepéniste est une campagne vouée à l’échec. Jean-Luc Mélenchon en avait déjà fait l’amère expérience lors des élections législatives de 2012. De telles stratégies électorales ne font que renforcer le Front National dans son argumentaire de parti indépendant seul contre une alliance « UMPS-médias ».
De façon générale, se présenter contre quelque chose est devenu l’apanage de la plupart des campagnes électorales menées de nos jours, du Front de Gauche au Front National, en passant par l’UMP et le PS. Depuis des décennies, on assiste à une alternance UMP-PS, tant aux présidentielles qu’aux élections locales. Le vote se porte moins sur le programme mis en avant par le candidat que sur ce contre lequel il s’érige.
Les réactions d’après-second tour en sont emblématiques. Nicolas Sarkozy fustige la politique de François Hollande – élu en 2012 grâce à un nombre considérable d’électeurs avant tout anti-Sarkozy, Marine Le Pen réclame une victoire face à une campagne amère menée par l’UMPS, Jean-Luc Mélenchon dénonce les diktats européens…
Dans un tel contexte, l’impression d’une alternance sans fin, sans renouveau, sans changement politique majeur, de surcroît dans un pays profondément touché par une situation économique peu reluisante, ne peut que faire le jeu du Front National. Les attaques contre ce parti lui permettent de se réfugier derrière le statut de victime d’une forme de cabale politico-médiatique et lui évitent de devoir parler en profondeur de son programme, et notamment de son programme économique.
Quels sont les enjeux de l’après-départementales?
Pour des élections locales, les départementales risquent d’avoir des conséquences nationales. La colère et la déception d’un nombre considérable d’électeurs à l’égard de la politique menée par le gouvernement et par le manque de résultats apparents ne peuvent être niées. Un remaniement semble toutefois exclu. Manuel Valls a fait référence de façon répétée à « [son] gouvernement » lors de son allocution télévisée juste après l’annonce des premiers résultats.
Reste la question d’une inflexion ou non de la politique menée par le Premier ministre actuel. Manuel Valls semble partisan d’un maintien, voire d’une accélération, des mesures social-libérales destinées à sortir le pays du marasme économique. La question est de savoir si le président va l’encourager dans cette voie ou tenter d’élargir le gouvernement vers l’aile gauche du PS, et notamment les « Frondeurs » qui proposent un « contrat de rassemblement« .
Il semblerait que l’écologie joue un rôle non négligeable lors de la prochaine phase gouvernementale, notamment en prévision du sommet sur le climat COP21 qu’accueillera Paris en fin d’année. Il ne serait donc pas exclu de voir un retour des écologistes au sein du gouvernement. Mais là encore, deux pistes s’offrent au président. En effet, la stratégie d’alliance entre une frange d’EELV avec le Front de Gauche ne semble pas avoir fonctionné et les Verts ont subi un revers considérable dès le premier tour des élections départementales. Le parti écologiste semble tiraillé entre son aile gauche proche du Front de Gauche et son aile droite happée par les sirènes de l’écologie hollando-compatible prônée par l’écolo-centriste Jean-Luc Bennahmias.
Du côté de la droite, Nicolas Sarkozy semble déjà préparer 2017. Il devra cependant faire l’arbitrage entre la stratégie d’appels en direction des électeurs FN – comme ses déclarations sur les repas de substitution – et la possibilité d’une alliance avec les partis de centre-droit, voire le Modem.
Le Front National, lui, va certainement tenter d’utiliser ses résultats électoraux comme base de lancement pour préparer les prochaines échéances électorales. Il lui faudra néanmoins veiller à éviter les dérapages de ses conseillers départementaux qui seront, à l’instar des maires FN, surveillés de près par les médias et les autres partis politiques.
Quoi qu’il en soit, tous ces partis ont quelques mois pour définir leur cap, leur programme et leur stratégie d’ici les élections régionales en décembre 2015.