Depuis le 31 mars 2016, la place de la République est le lieu d’un rassemblement populaire sans précédent. Des milliers de personnes occupent la place chaque soir afin de discuter, de s’exprimer, de réfléchir ensemble à la construction d’une nouvelle société, d’une nouvelle France…
La loi El Khomri, en plus d’avoir fait couler beaucoup d’encre, a eu le don de mobiliser, de fédérer et de faire réagir. Après une forte mobilisation, autant sur les pavés que sur la toile avec l’hashtag #Onvautmieuxqueça initiés par des Youtubeurs engagés, voici la Nuit Debout, rassemblement qui se considère une réappropriation de l’espace public par le « peuple ». Au carrefour entre le mouvement Occupy Wall Street et celui des Indignés, la Nuit debout tenue Place de la République commence à prendre une proportion inattendue. Démarré à l’issu de la manifestation du 31 mars 2016, en contestation à la loi El Khomri, lycéens, étudiants, syndicats, grévistes se retrouvent sur la fameuse place. Après une projection du film « Merci Patron » de François Ruffin, journaliste chez Fakir, les langues se délient, les cerveaux s’échauffent… La Nuit Debout est née. Aujourd’hui, plus de cinquante villes de France adoptent le concept, ainsi que d’autres pays de l’UE tel que l’Espagne, la Belgique ou encore l’Allemagne. Zoom sur un mouvement citoyen pas comme les autres, parti pour durer et s’agrandir….
La puissance de la mobilisation
Samedi 9 avril ; 40ème Nuit debout. 18h. Malgré la pluie, le vent et le froid, la place ne désemplie pas, quand bien même les manifestants de la place de la Nation ne sont toujours pas revenus. Des stands sont installés tout autour de la place de la République. Une cantine, une infirmerie, un coin logistique sont installés pour les besoins élémentaires. D’un côté, des associations exposent leurs actions aux intéressés. De l’autre, les médias dédiés à la mobilisation #TVDebout et #RadioDebout interviewent, commentent en direct ce qui se passent aux internautes… Une organisation incroyable, mobilisant des associations telles que Droit Au Logement, l’équipe du journal Fakir… Des bénévoles s’investissent également pour aider à faire tourner cette machine bien huilée ; logistique, animation, coordination, communication, médias… Rien est oublié. Pour gérer ce beau fatras, aucun leader. Tout le monde met la main à la pâte et apparemment, ça fonctionne.
De l’autre côté de la statue de Marianne est installée une scène. Sur la tribune, les orateurs s’enchaînent : représentants de syndicats, de bénévoles, de sans-papiers, de réfugiés, associations de victimes de violences policières, associations contre le mal logement, porte-parole d’artistes engagés… Ils sont les représentants de causes différentes, mais aspirent tous à un même objectif : le changement.
De l’extérieur…
Les médias extérieurs à l’initiative sont également présents: caméraman, photographe… Les participants s’en méfient : « Ils filment, interviewent, prennent des numéros, mais va savoir ce qu’ils en font… » lâche une participante d’une quarantaine d’année. On constate une défiance évidente pour les médias traditionnels et une crainte de l’appropriation politico-médiatique de la mobilisation. Ça se cristallise, par exemple par cette volonté de ne pas désigner de leader. Malgré tout, on peut tout de même concéder que François Ruffin, journaliste chez Fakir et réalisateur du film Merci Patron ! représente un des visages de la Nuit Debout. L’économiste Frédéric Lordon, fortement engagé contre la loi El Khomri, participe aussi régulièrement à la Nuit Debout, dont il s’est fait une des voix. Samedi soir, n’a pas fait exception : « On ne tient pas éternellement une société avec BFM TV, de la flicaille et de Lexomil » exhorte le membre des Économiste Atterrés à la foule, avant d’envisager le lancement d’une grève générale comme solution au problème. Comme il l’a dit lors d’un précédent discours, « nous n’occupons pas pour occuper, mais pour obtenir un changement politique » et ce n’est pas les participants et bénévoles au diapason qui vont le contredire…
Un nouveau modèle de démocratie populaire ?
Ce rassemblement fédère et crée du lien d’une nouvelle manière. Ce n’est pas un attroupement d’individus fermés. Les gens s’interpellent, se posent des questions, demandent des éclaircissements… En cas de pépin, comme la pluie, des cartons sont distribués pour permettre aux participants de s’asseoir. Ils partagent leur parapluie avec des inconnus, discutent…
« C’est bien que vous soyez là. Tout ça, c’est à vous, les moins de trente ans… » lance une quadragénaire présente, émue par la mobilisation. On constate effectivement une majorité de jeune, issu de la classe moyenne/bourgeoise. Mais encore trop peu de présence de français racisés ou de personnes issues de la banlieue. « Moi j’ai un gros problème. On nous parle souvent de convergences des luttes, mais on est nombreux à se poser la question : « où est la banlieue ? » » interpelle Almamy Kanouté du Mouvement Emergence, lors de son discours lors de l’Assemblée Générale. Le militant associatif se fait d’ailleurs le relais du nouvel hashtag #BanlieueDebout qui vient de voir le jour et qui tente d’attirer les banlieusards à investir les places des cités.
Au-delà de ça, on peut aller jusqu’à dire que cette France mobilisée est très à gauche. Un grand mélange de socialistes désabusés par la politique « social-libérale » de François Hollande, d’extrême-gauchistes-communistes-anarchistes, d’altermondialistes, de féministes et d’écolos. Malgré les priorités divergentes, tous se retrouvent sur un même point : il faut un changement radical du système actuel. Mais avec les différentes Nuits Debouts qui pullulent à travers la France, il y a de bonnes chances de voir se mobiliser davantage de citoyens différents, venant des grandes et petites villes, des milieux ruraux ou encore des banlieues.
Nuit debout et l’autorité
« Il y a des CRS qui se sont installés tout au long de la rue du Faubourg du Temple et il y a des arrestations qui ont été faites en ce moment. Ils cherchent des gens isolés et ça peut être dangereux… » prévient une des animatrices à la fin de l’Assemblée Générale. Les CRS sont revenus de la manifestation place de la Nation et la crainte des violences se fait sentir. Avec tous ces récents faits de violences policières mis en lumière dans les réseaux sociaux, la foule se méfie. Ils savent que le moindre esclandre peut potentiellement les mener à une répression proportionnée ou pas. Pourtant, un peu plus tard dans la soirée, un groupe de 300 personnes, selon la préfecture de police, décide de se diriger au domicile de Manuel Valls dans le 11ème arrondissement pour prendre l’#AperochezValls. Malgré l’absence du Premier ministre en déplacement en Algérie, les manifestants ont été empêchés par les forces de l’ordre. Des dégâts matériels, des interpellations ont été effectués, n’aidant pas à la crédibilité du mouvement dans les médias.
Ce lundi 11 avril, malgré le démantèlement des installations sur la place, la préfecture de police a prolongé l’autorisation de manifester aux militants. Le rassemblement devrait donc renaître de ses cendres le soir même et continuer sur sa lancée. On attendait les changements promis par François Hollande lors des présidentielles de 2012, certains citoyens ont décidé que se seraient maintenant. Encore reste-t-il à voir jusqu’où celui-ci peut aller…
Par Gnouleleng EGBELOU