Le 18 janvier dernier, le ministre l’Intérieur autrichien a annoncé la création d’une « unité de protection des frontières » visant à gérer l’arrivée des migrants sur les terres autrichiennes. Cette décision illustre bien les faits qui se sont produits récemment en Autriche : un récapitulatif s’impose.
L’Autriche et son histoire : des similitudes avec l’Allemagne
Vers la fin du 19ème siècle, l’empire austro-hongrois était l’une des plus grandes puissances mondiales. Mais suite à la Première Guerre mondiale, l’empire est démoli et l’Autriche prend la forme qu’elle a aujourd’hui. Peu après la Première Guerre mondiale, les deux pays succombent à l’extrême-droite : le nazisme pour l’Allemagne et l’Autriche à l’austrofascisme avant d’adopter le régime d’Hitler. La guerre finit, l’Autriche redevient un pays libre. Suite à la défaite du fascisme, Vienne la capitale du pays autrichien, est divisé comme Berlin l’a été. Il aura fallu attendre 10 ans pour que la capitale soit réunie. Depuis l’Autriche est souvent neutre dans les questions de politiques internationales. Ainsi on peut voir que le fantôme de l’extrême-droite radicale est toujours présent et, comme pour l’Allemagne, le fascisme reste une des terribles vicissitudes de l’Histoire autrichienne. On pourrait donc logiquement penser que le pays, marqué par son passé, ne succomberait pas à la tentation de l’extrême-droite. Or les évènements récents nous ont prouvé le contraire.
L’élection présidentielle : de péripéties en péripéties…
En 2016 ont eu lieu en Autriche les élections présidentielles. L’ancien président social-démocrate, Heinz Fischer, ne pouvait pas se représenter : il avait déjà effectué deux mandats consécutifs. On voit donc 6 candidats se présenter pour cette élection : ils n’avaient jamais été autant depuis 1951. Le 24 avril 2016, Norbert Hofer (Parti de la Liberté d’Autriche, extrême-droite) et Alexander Van der Bellen (Les Verts) sortent respectivement vainqueurs du premier tour. Ce résultat est inédit : ni le SPÖ (parti social-démocrate) ni le ÖVP (parti populaire), qui sont les deux plus gros partis politiques d’Autriche, ne sont dans le duo final. Le 22 mai 2016 a eu lieu le second tour. Mais le soir, le résultat n’est pas donné : l’écart de voix était au début insuffisant pour donner un nom. Alors que l’extrême-droite était arrivée en tête au premier tour, Hofer va reconnaitre sa défaite face à Van der Bellen. Mais cette victoire est contestée : en juillet 2016, la Cour Constitutionnelle d’Autriche va invalider les résultats de ce second tour car elle dénombre certaines irrégularités. Le nouveau second tour est donc prévu pour le 2 octobre 2016 mais sera décalé au 4 décembre : les bulletins de votes étaient défectueux. Le résultat final donnera Van der Bellen vainqueur mais cette fois-ci avec une plus grande majorité. Cependant cette victoire est à nuancer : pour beaucoup, il s’agissait d’un « vote-barrage » contre l’extrême-droite.
Élections législatives : « Le jeune prodige » arrive en tête
Suites à ces mésaventures, les élections législatives sont anticipées et se déroulent donc peu de temps après les présidentielles : c’est une chose inédite dans l’histoire autrichienne. Le résultat est sans appel : Sebastian Kurz, membre du parti de droite ÖVP, arrive en tête. Les verts, gagnant de l’élection présidentielle, ont fait un score catastrophique : c’est le pire résultat que le parti n’ait jamais eu. Derrière le ÖVP on retrouve le SPÖ (parti de gauche) et FPÖ (parti de la liberté) avec des scores très serrés. Sebastian Kurz est donc élu chancelier. On entendait déjà beaucoup parler de ce jeune homme. En effet, il est décrit comme ambitieux et son parcours politique le prouve : à 16 ans il adhère à l’ÖVP, à 24 ans il est secrétaire d’Etat à l’intégration et 2 ans plus tard Ministre des Affaires étrangères. Ainsi à 31 ans, il est le plus jeune dirigeant du monde (tout comme en Allemagne, c’est le chancelier qui a le plus de pouvoir). « Wonderwuzzi » (jeune prodige) comme on le surnomme, est connu pour être un pro-européen défendant une ligne politique très à droite.
La formation du gouvernement : un choix inédit
Fraichement élu, Kurz doit former un gouvernement et donc faire une coalition pour avoir une majorité stable. Généralement, on voyait la droite (ÖVP) et la gauche (SPÖ) s’allier. Il est arrivé une fois dans l’histoire autrichienne qu’une coalition ÖVP-FPÖ voit le jour : c’était en 2000 et cela a fait polémique. En effet, beaucoup d’Autrichiens étaient descendus dans la rue (ils rappelaient notamment que le FPÖ avait été formé par des nazis). Mais cette affaire est allée encore plus loin : 14 États de l’Union Européenne avaient, à l’époque, refusé toute rencontre bilatérale avec le gouvernement autrichien et cela a duré 7 mois ! Il y a même eu des sanctions européennes contre l’Autriche à cause de cette coalition. Mais tout cela s’est vite terminé : quelques mois plus tard les ministres d’extrême-droite ont démissionné. On pourrait donc logiquement penser que pour éviter tout problème, Kurz allait former une coalition avec la gauche. Mais il avait déjà exprimé pendant sa campagne présidentielle une possibilité de gouverner avec le FPÖ : le nouveau chancelier est très ancré à droite (notamment sur la question des migrants) donc son programme va plus dans le sens du FPÖ que du SPÖ. Cela peut expliquer pourquoi « Wonderwuzzi » a décidé de faire cette coalition turquoise-bleue. Il nomme donc, sur 13 ministres, 6 issus de l’extrême-droite : Strache (son concurrent à l’élection législative) est nommé vice-chancelier et ministre de la Fonction publique et des Sports, Kneissl aux affaires étrangères, Kickl à l’Intérieur, Hartinger-Klein pour la santé et les affaires sociales, Kunasek à la défense et Hofer (candidat malheureux de l’élection présidentielle) à l’infrastructure et aux transports. Ce sont donc des ministères importants qui sont accordés au FPÖ : le parti dispose de 3 ministères régaliens. Pour former à bien cette coalition, les ministres d’extrême-droite ont renoncé à l’idée d’un référendum sur une sortie de l’Autriche de l’Union Européenne.
Les vives réactions à cette coalition
Beaucoup d’experts dénoncent cette union, allant jusqu’à dire que l’Autriche n’a pas bien fait son devoir de mémoire et que cela ne sera pas sans préjudice. Pour montrer leur désaccord, le 13 janvier dernier, les autrichiens sont descendus dans la rue : la manifestation était composée de gens ayant des couleurs politiques diverses, montrant que cette coalition n’affecte pas qu’un bord politique en particulier mais bel et bien toute l’Autriche. Les 20 000 manifestants, selon la police, n’acceptent pas le programme social et les réformes sur l’immigration que veut faire le gouvernement : cela leur rappelle la période fasciste de l’Autriche. En effet, le ministre de l’Intérieur a fait scandale en disant qu’il fallait « concentrer » les demandeurs d’asiles dans des centres : beaucoup se sont indignés en montrant que ce mot, dans son utilisation et dans le contexte où il a été prononcé, pouvait faire référence aux camps de concentration nazis. Malgré tout, Kurz défend son ministre en expliquant qu’il ne s’agissait aucunement d’une provocation. Peu de temps après, le président Van der Bellen, dans un de ses discours, a rappelé qu’il fallait faire attention à l’emploi des mots car cela n’est pas innocent : implicitement, il faisait une critique au ministre de l’Intérieur.
Comment réagit l’Union Européenne ?
Contrairement à ce qu’il s’est passé en 2000, l’Union Européenne n’a pas condamné aussi violemment l’Autriche : l’Europe a presque été muette. Cela peut s’expliquer par la montée du nationalisme qui se fait sentir aux quatre coins du monde et notamment dans l’Union Européenne : partout les partis d’extrême-droite progressent et sont à deux doigt d’être au pouvoir, l’Autriche est donc juste la concrétisation de cette tendance. Kurz a déjà rencontré Emmanuel Macron et Angela Merkel : la politique migratoire de l’Autriche est à l’opposé de celle de la France et de l’Allemagne. En effet, le gouvernement Kurz voudrait fermer les frontières aux migrants et en accueillir le moins possible. Certains membres du FPÖ étaient ravis de la baisse de l’aide aux migrants. A l’inverse, Merkel est pour l’accueil des réfugiés. La ligne dure de l’Autriche fait peur, d’autant plus que la question migratoire est l’un des problèmes majeurs de l’Union Européenne. On voit donc que le consensus européen sur cette question ne risque pas d’arriver de sitôt. Macron et surtout Merkel ont exprimé clairement leur désapprobation vis-à-vis de la vision de Kurz. Mais ce dernier répond qu’il faudra juger les actes de son gouvernement et non pas son programme. L’union Européenne a déjà du mal à s’unir du point de vue économique (les écarts entre les différents pays sont énormes), créant une fracture entre l’Europe de l’est et de l’ouest. Ainsi on voit que la place de l’Autriche et de son gouvernement ne va pas cesser de faire parler, d’autant plus que Vienne va prendre la présidence européenne en juillet prochain. Dernièrement, Kurz a été très critique envers les pays de l’Europe de l’Est : il se dit prêt à couper « dans certains programmes structurels de l’Union qui n’ont pas fait toutes leurs preuves ». Ce message serait destiné à la Hongrie et Pologne dont la gestion des fonds européens est très controversée.
L’Autriche illustre donc bien la situation régnante en Europe : la tentation de l’extrême-droite est forte malgré les vicissitudes de l’Histoire. La question du devoir de mémoire est donc de plus en plus importante pour certains pays. Par ailleurs, ce nouveau gouvernement a soulevé un autre problème : l’Europe n’arrive pas à s’unir et la fracture entre l’Europe de l’est et de l’ouest est de plus en plus probant. A présent reste à savoir si la coalition autrichienne va tenir dans le temps : si c’est le cas, peut-être que le pays arrivera à créer un consensus au sein de l’EU ?
Clara Pierré