L’association s’attend à des coupes drastiques du budget européen alloué à l’aide alimentaire à partir de 2014 et organise déjà des changements dans sa logistique.
« On est à la merci de tous les arbitrages ». Alain Chetaille, bénévole et secrétaire départemental du Secours populaire en charge de l’action alimentaire à la fédération de Paris dresse ce constat peu optimiste pour l’avenir de l’aide alimentaire européenne. Dans cet entrepôt de taille modeste situé rue Montcalm dans le XVIIIème arrondissement de Paris, unique banque alimentaire du Secours populaire pour le département, plus de 300 familles en situation de pauvreté (moins de six euros de Reste à vivre* par jour) viennent chaque semaine s’approvisionner en nourriture. Mais désormais, les bénévoles ne se font plus d’illusions : l’aide alimentaire européenne va baisser à partir de 2014.
Le Secours populaire français (SPF), fondé en 1945, dépend aujourd’hui à 66% de l’aide européenne via le Programme européen d’aide aux plus démunis (PEAD). Parallèlement, ces deux dernières années, l’association parisienne a augmenté son activité de 50% en raison de la crise économique. L’échec du sommet européen qui devait déterminer, le 24 novembre dernier à Bruxelles, le budget pour la période 2014-2020, ne laisse plus grand espoir aux membres de l’association. Pour Alain Chetaille, le risque est que l’aide alimentaire soit noyée dans un Fonds de solidarité fourre-tout dans lequel « tous les besoins seront en concurrence les uns avec les autres ». Et d’ajouter : « On a besoin de lisibilité car quand on commence à dire à une famille “on va vous aider” il y a quand même un minimum de continuité à tenir. »
Responsabilité nationale ou communautaire ?
Héritage des années Mitterrand, le Programme d’aide aux plus démunis a émergé en 1987 sous l’impulsion de Jacques Delors et de Coluche. A cette époque, les surplus des stocks de la Politique agricole commune (PAC) sont conséquents et vont être mobilisés pour répondre aux besoins alimentaires des plus pauvres. Or depuis 2010, la pénurie de stocks physiques a poussé la Communauté européenne à compléter le programme par des enveloppes budgétaires pour acheter des produits directement auprès des industries agroalimentaires. Mais cette solution ne fait guère consensus au sein de l’Union Européenne. Certains Etats tels que l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, les Pays-Bas, la République Tchèque, la Suède ou encore le Royaume-Uni considèrent que l’aide aux plus démunis est une affaire nationale qui ne devrait plus être financée par le budget de l’Union.
Ainsi, le Secours populaire n’a pas attendu le prochain sommet prévu en janvier pour prendre les devants. Il tente dès à présent de trouver des moyens pour compenser les pertes prévisibles liées à la baisse du budget européen. « Il faut que l’on trouve d’autres sources d’approvisionnement, donc ça veut dire plus de collectes. On aura des produits plus variés mais en plus petite quantité. On va aussi essayer d’augmenter nos budgets d’achats ; ça veut dire recevoir plus de dons en argent. »Mais le résultat des collectes et des dons est imprévisible et peut varier d’une semaine sur l’autre. « Nous allons aussi être en libre-service et on sera ouvert pratiquement toute la semaine à partir de janvier. » L’équipe espère donc grossir le nombre de bénévoles pour pouvoir gérer ses changements logistiques.
A l ‘intérieur de l’entrepôt, des petites guirlandes sont accrochées le long des murs pour donner un peu de gaieté au lieu. Des étiquettes collées sur les tables indiquent le rationnement par personne et par produit tandis que trois réfrigérateurs conservent les produits frais. Difficile d’imaginer que cet équipement suffise à nourrir tous les bénéficiaires du département parisien. Alain Chetaille confie également que des discussions ont eu lieu avec certaines enseignes de la grande distribution pour évaluer dans quelle mesure celles-ci pourraient accentuer les dons de produits non périssables. « Le problème sur Paris c’est que les grandes surfaces sont situées en périphéries et donnent aux associations alentour », insiste le bénévole.
Si la baisse du budget est confirmée par Bruxelles, qui compensera la perte pour le programme d’aide alimentaire destinée aux associations ? La question est politique pour Alain Chetaille qui regrette qu’« en pleine période de crise, la solidarité ne s’exerce plus qu’à l’égard des banques alors que la conservation de ce programme conforterait l’idée d’une Europe plus solidaire. »
Louise Sébille Vignaud
Photo: Flickr
* Le Reste à vivre permet de calculer la somme par jour et par personne consacrée à la nourriture et à l’habillement. Il est calculé de la façon suivante : revenu moins dépenses (logement, mobilité, mutuelle, cantine…) divisé par 30 (jours) et par le nombre de membre de la famille.