Élu mot de l’année 2013 par le dictionnaire d’Oxford, le selfie est devenu la nouvelle attraction incontournable sur les réseaux sociaux ces 12 derniers mois. Cet autoportrait 2.0 pris avec la caméra frontale des téléphones alimente abondement la toile à tel point qu’il est devenu un véritable phénomène de société.
Que vous soyez un simple internaute, une personnalité politique ou une star de la chanson, vous pouvez partager vos selfies dans le monde entier par le biais d’Internet. Utilisé comme un véritable instrument politique par certains et exploité comme une stratégie marketing par d’autres, le selfie et ses dérives ont déjà soulevé plusieurs polémiques et fait l’objet de nombreuses critiques.
L’effervescence du selfie
Avec plus de 1 milliard de smartphones vendus l’année dernière, le succès du selfie accompagne celui des téléphones portables munis de caméras de plus en plus performantes et le développement des nouveaux réseaux sociaux. Avec l’apparition de plus en plus d’applications en rapport avec la publication de ces autoportraits comme Instagram, Twitter, Facebook et autres, la mode du selfie a conquis un très grand nombre d’internautes à commencer par les stars. Certaines d’entre elles n’hésitent pas à alimenter leur compte Instagram de clichés et à publier en temps réel faisant écho de leurs moindres faits et gestes. Incontournable coup de pouce marketing, ces photos attirent chaque jour des milliers de fans. Pour la chanteuse Rihanna – qui fait partie des stars les plus populaire sur Instagram -, c’est environ 2 à 3 photos publiées par jour avec près de 8 millions d’internautes qui suivent régulièrement ses publications. Pour une célébrité, publier personnellement une photo d’elle sur un réseau social permet avant tout de mieux contrôler son image, ce qui n’est pas toujours le cas lorsque ces photos sont prises par des paparazzis. C’est aussi un moyen de se promouvoir et de conserver un lien virtuel avec ses fans et de fidéliser un public. Pour se faire une idée de la popularité virtuelle d’une personnalité, il suffit de se baser sur leur nombre de followers. Plus on a de followers, c’est à dire de gens qui s’intéressent à nos photos, et plus on peut être considéré comme populaire.
Ce concept de mise en avant de soi par le selfie est aussi largement exploité dans domaine de la politique. Nadine Morano, « l’accro du selfie », a déjà posté pas moins de 218 photos sur instagram. Elle n’hésite pas à mettre en scène et à publier les clichés de ses rencontres et de ses différents déplacements professionnels. Plus récemment, Jean-Marc Ayrault, de plus en plus critiqué depuis le début de l’année, a mis en ligne un selfie de lui en train de célébrer l’adoption de la nouvelle loi d’accès au logement avec Cécile Duflot. Ce selfie serait il un moyen pour lui de chercher une rapide amélioration de son image auprès des français qui pourrait lui être bénéfique avant un éventuel remaniement?
Même le pape François, élu personnalité de l’année 2013 par le Time magazine, s’y est mis : le selfie lui donne une image plus jeune, dynamique, proche de ses fidèles et en accord avec son époque. C’est ce qui lui vaudra le titre de personnalité la plus « rock and roll » de l’année par le magazine Rolling Stone. Mais ce concept n’a pas uniquement séduit les milieux les plus médiatisés: certains adeptes anonymes du selfie postent régulièrement des photos d’eux dans des situations plus ou moins originales. Pour Adam, un jeune adepte de 15 ans, « publier un selfie ou regarder ce que mes amis postent ça permet de rester en contact et de m’informer sur l’autre, et puis c’est plus marrant que de recevoir un texto, là on voit sa tête c’est comme s’il était avec nous ». Ce phénomène touche en grande partie les plus jeunes. Et si certains d’entre eux voient dans le selfie la possibilité de communiquer de façon ludique et instantané, il est possible de s’interroger sur les éventuelles répercussions sociales de ce mouvement et sur ses dérives.
Un phénomène qui connait des dérives
Aujourd’hui, le selfie a donné naissance à de nouveaux codes sociaux et fait l’objet d’études scientifiques et sociales. De plus en plus de spécialistes s’inquiètent sur les conséquences de ce nouveau mode de communication virtuelle à la limite du narcissisme. Il bouleverserait non seulement notre rapport à l’autre, réduisant considérablement nos frontières intimes, mais il entretiendrait surtout un rapport obsessionnel à une image convoitée et plagiée sur un modèle largement diffusé par les industries culturelles (télé-réalité, clips musicaux, série TV etc.). De plus, les dérives du phénomène ont pris une tournure excessive : de plus en plus de jeunes internautes exhibent fièrement leurs postérieurs (sous forme de « belfie ») sur les réseaux sociaux ou publient même des selfies d’eux saoul (des « drelfies ») sur les réseaux sociaux. Une des dérives les plus surprenantes consiste à se prendre en photo pendant un enterrement avec – si possible – le ou la défunte.
L’application Snapchat pousse le concept encore plus loin. Cette application de partage éphémère de photos encourage ses utilisateurs à envoyer des clichés plus ou moins compromettants leur entourage et ce à longueur de journée. Dans le monde, on dénombre en moyenne 350 millions de snapchats envoyés par jour.
La « selfie-mania » nous passera -t-elle un jour ? En attendant, le phénomène n’a pas fini de séduire les internautes dont la créativité débordante inspire de nouvelle forme de selfie comme le « selflip » (selfie flippant) qui consiste à faire sursauter une personne en criant au moment où l’on se prend en photo et qu’elle ne s’y attend pas. Ou encore les « selfie olympics« , une sorte de challenge entre internautes qui consiste à prendre le selfie le plus original.
Théo Nestoret–Puyon