Hier soir et jusqu’au petit matin sur la place de la République, l’indignation et la conscience citoyenne se sont donné rendez-vous pour passer ensemble la « nuit solidaire pour le logement ». Ce rassemblement populaire, organisé par le Collectif des associations unies, a connu un beau succès malgré le froid de février.
Trente-quatre associations unies
Cette nuit particulière, c’est le CAU qui l’a organisée. Derrière le CAU, on trouve trente-quatre associations, unies depuis 2008 pour interpeller plus efficacement les pouvoirs publiques sur les situations de précarité et d’exclusion sociale. Ces associations entendent, en plus d’effectuer des actions concrètes sur le terrain, venir en aide aux plus démunis en menant un travail d’analyse des causes de la pauvreté en France. Parmi elles, Emmaüs, les Enfants de Don Quichotte, la fondation Abbé Pierre, les Petits frères des pauvres… pour ne citer que les plus connues.
Cette année, le collectif a décidé d’organiser, pour la troisième fois (les premières nuits se sont déroulées, à Paris et en province, en 2008 et 2009), la nuit solidaire pour le logement, qui se donne pour but d’interpeller les dirigeants et le grand public sur les questions de précarité. Une nouvelle édition qui semble répondre à un gouvernement qui ne prendrait pas forcément ses responsabilités vis-à-vis des problèmes d’accès au logement.
C’est ce que pense Armelle, membre du Secours catholique depuis douze ans. « La loi ALUR de Cécile Duflot introduisait des avancées sociales, mais elles ont été remises en question depuis septembre dernier, avec le plan de relance du logement proposé par Manuel Valls. Je pense notamment à l’encadrement des loyers, qui ne sera valable plus que pour Paris et pas en province… » Et la bénévole de souligner l’urgence d’une politique efficace de logement en cet hiver vigoureux, où « même les services du 115 du 93 font grève… ils saturent, les demandes explosent ». Le collectif a donc lancé, « un peu sur le tard » reconnait Armelle (le projet est né en décembre), cet événement est « à la fois festif et informatif ». Pour l’information, on peut compter sur les nombreux bénévoles présents sous le chapiteau, et qui animent tout au long de la soirée un forum au programme dense. Et pour la fête, des artistes ont été conviés… « Tous n’ont pas pu répondre présents, mais nous sommes contents de notre programmation. Je pense qu’il y aura beaucoup de monde ce soir », sourient les yeux bleus. La place de la République a évidemment été choisie à propos. « C’est symbolique. La dernière fois, nous étions place de la Bastille », explique Armelle. Quant à la communication de l’événement, elle s’est faite essentiellement par les réseaux sociaux, doublée d’un placardage actif sur les places principales de Paris.
Il n’est pas encore dix-huit heures, moment du lancement de la nuit solidaire, mais la place se remplit déjà de quelques participants. Tandis que certains attendent devant la scène, où des tests sonores ont lieu, d’autres ne font que ralentir le pas, curieux, devant les étranges installations. A côté du chapiteau, à demi cachés par des barrières, sont disposés matelas, fauteuils et lits de camp. Les gens sont en effet invités à rester dormir à la fin de la soirée, de minuit à six heures. Des couvertures de survie seront distribuées, mais les plus déterminés ont prévu leurs propres sacs de couchage.
Ce n’est pas le cas d’Elfriede, Ninon et Nelsone : les trois jeunes filles de seize ans ont cours au lycée demain. « C’est pas le top d’organiser ça un jeudi soir… j’ai bac blanc moi ! » rigole Elfriede. Les copines sont venues pour applaudir le rappeur Georgio, dont elles ont appris la présence via Twitter. « Mais aussi parce qu’on trouve ça bien », ajoute Ninon. « C’est bien qu’il y ait des artistes qui se bougent, ça fait venir des gens. » Toutes les trois saluent « une bonne initiative », qui « devrait faire plus parler d’elle ».
Messages et témoignages
Vers dix-neuf heures, lorsque la soirée commence, c’est d’abord le porte-parole du CAU qui prend la parole. Sous les projecteurs, alors que la nuit et le froid sont tombés sur les spectateurs, bien plus nombreux désormais, il rappelle que l’extrême pauvreté est une réalité en France. Il rappelle que 8,5 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, que 3,5 millions sont mal logées et, pour 142 000 environ d’entre elles, n’ont pas de domicile fixe. Venant apporter une coloration lyrique à ces sombres statistiques, Nolwenn Leroy, de passage pour témoigner son soutien au projet, prend le micro et lit « détruire la misère », discours de Victor Hugo. Ce sera ensuite le tour de deux membres du CCPA, le Conseil Consultatif des Personnes Accueillies, de témoigner de leur expérience et de leur engagement. Les deux femmes, très animées, citent Mandela et estiment que trop de monde connait des problèmes de logement même sans connaître la pauvreté, dans les grandes villes et particulièrement Paris.
La température se réchauffe un peu dans la foule avec l’arrivée de Dias sur scène pour le premier concert. Le chanteur nigérien crée une petite ambiance festive avec ses airs de reggae.
A vingt heures, la scène est comble : les présidents des trente-quatre associations sont là. Tour à tour, dans la simplicité, chacun prend la parole et prononce une parole de lutte ou d’espoir. C’est Jeanne Cherhal qui lira ensuite l’appel du collectif. La jeune chanteuse énonce des chiffres, dénonce les inégalités qui fragilisent la république, et recommande en conclusion la plus grande « vigilance citoyenne ».
Puis, c’est au tour de l’attendu Georgio de venir faire un show grandement apprécié par le public. Pendant ce temps, sous le chapiteau, on peut regarder des documentaires réalisés par les associations, et qui sont essentiellement des témoignages de sans-abris et de personnes accueillies dans les centres d’hébergement. C’est aussi une histoire qu’on peut entendre dans la bouche d’Alain Greuillet.
Arrivé à Paris il y a une vingtaine d’année « avec environ vingt francs en poche », l’homme de cinquante-sept ans, ancien documentaliste, a connu l’univers de la rue. « Lorsque le numéro d’urgence du 115 s’est créé, le service était nouveau et il était encore peu efficace, ils ne prenaient pas tout-le-monde », se souvient-il. « C’est une des équipe de Maraude du Secours populaire qui est venu à moi. Ils passaient régulièrement près de là où j’étais, et ils ont fini par me donner les coordonnées de la Cité du refuge, dans le treizième arrondissement. C’est un hébergement temporaire où je suis resté quatre ans. »
Au sein de cette structure, un service de relogement a ensuite permis à Alain de trouver un logement. « J’ai fait le choix du logement accompagné. Je suis dans une maison-relais de l’Armée du salut depuis quatre ans maintenant ». Alain évoque une association « qui promeut l’esprit de citoyenneté auprès des gens qu’elle prend en charge ». Reconnaissant et désireux de se sentir utile, l’ancien sans-domicile travaille désormais lui aussi comme bénévole à l’Armée du salut. « C’est une manière de montrer ma gratitude envers ceux qui m’ont aidé », explique-t-il. Il poursuit : « Recevoir est bien, il faut ensuite savoir donner. Etre conscient qu’on a un rôle à jouer en tant que citoyen pour lutter contre la pauvreté. Ce n’est pas grand-chose, donner un peu de son temps… ». Alain, qui est également membre du CCPA, estime qu’il faut dépasser la seule aide d’urgence, mais « amener les personnes vulnérables socialement vers la citoyenneté. J’insiste sur la dimension sociale, et non seulement économique, de l’insertion… revenir à la société après la rue, ce n’est pas simplement retrouver un travail. » Cet homme, inquiet sur « ce que nous allons léguer aux jeunes », se veut tout-de-même optimiste. « Je pense que les Français d’aujourd’hui, surtout après les attentats de janvier, sont conscients qu’il y a une crise et que ce n’est pas en tapant sur les pauvres qu’elle va se résoudre. Une soirée comme celle-ci, ça rend visibles les gens qui mendient. Ceux qui sont d’habitude transparents. »
Quand Alain Greuillet achève son récit, Georgio a quitté la scène pour laisser la place à Aïda Touihri. Dans son court discours, la journaliste cite l’Abbé Pierre, et Coluche.
Bonne humeur et esprit festif
C’est dans une ambiance générale joyeuse que se sont déroulées les heures de cette étrange nuit. Ainsi, un petit spectacle de clowns est venu égayer les forums du chapiteau, ainsi que d’autres animations : on remarque notamment une saynète satirique où de luxueux appartements parisiens ont vus leurs valeurs se brader dans des « enchères négatives », jusqu’à atteindre un montant de loyer décent.
Sur scène, les interventions des témoins furent parfois mises en scène, avec une tournure humoristique. Ainsi, un mal logé avoue avoir confondu le sigle d’un organisme d’aide d’Etat avec la marque d’un produit ménager… la grande complexité des procédures administratives a été ainsi bien soulignée.
Un flash-mob très simple a également éclairé la foule d’une lumière dorée : après l’appel des présidents sur scène, tout un chacun a été invité à maintenir une couverture de survie tendue en l’air, formant ainsi un immense toit brillant.
Mais c’est HK et les saltimbanks qui ont particulièrement soulevé le public. Le groupe de la métropole lilloise, qu’on avait pu voir à la Fête de l’Humanité en septembre dernier, a su attendre le tout dernier moment pour jouer son morceau-phare, « On lâche rien », et a profité de ce concert pour présenter des titres extraits du nouvel album attendu pour le mois d’avril.
Sur la musique populaire de HK, les spectateurs ont pu danser pour oublier le froid ; d’autres ont préféré pour cela consommer un peu trop d’alcool, et on a pu remarquer quelques légers débordements en bordure de la foule.
Vers vingt-trois heures, alors que la majeure partie des participants à la nuit solidaire regagnent leurs domiciles, certains jouent le jeu jusqu’au bout et se dirigent vers l’espace des couchages, qui ouvrira ses portes à minuit.
Combien étaient-ils, de dix-huit heures jusqu’à six heures du matin, place de la République ? Il sera difficile de compter, et les chiffres des associations différeront encore une fois de ceux des forces de l’ordre.Mais un message citoyen a été diffusé, il était assez puissant pour être entendu. Cette nuit, la république était indignée mais confiante en l’esprit de solidarité qui l’anime. Si cette nuit a finalement proposé peu de solutions concrètes aux problèmes dont souffre la France, elle a voulu engager les dirigeants à le faire, et elle a crié haut et fort que la lutte contre l’exclusion sociale est un combat qu’il ne faut pas lâcher.
Roxane Duboz