On pourrait dater le féminisme de l’apparition de la femme en tant que telle, mais la réalité est bien plus complexe. Même s’il a toujours été présent dans nos sociétés, son expression n’a jamais été aussi forte que de nos jours, mais pas toujours présent partout sur le globe, ni de la même façon. Souvent rejeté ou intériorisé le féminisme renait avec les réseaux sociaux, et l’ouverture du débat sur la scène politique. Mais de plus en plus, on constate l’apparition d’anti-féminisme et de néo-féminisme avec des organismes qui ont des places de plus en plus importantes et à toutes les échelles, sans qu’on sache vraiment ni de qui il s’agit, ni quelles causes ces associations défendent. Mais alors qui sont les féministes ?

J. Howard Miller, Rosie the Riveter (Géraldine Doyle) 1942, Licence CC

J. Howard Miller, Rosie the Riveter (Géraldine Doyle) 1942, Licence CC

 

Une certaine idée du féminisme?

Malgré une volonté de faire parler les anti-féministes la difficulté de nouer le dialogue s’est trouvée plus forte que la volonté d’en découvrir plus sur ces derniers, laissant des questions sans réponse. Toutefois des femmes et des hommes ont accepté de donner leur avis, leurs idées sur le féminisme. En général, tous reconnaissent une inégalité réelle entre homme et femme et la nécessité de la combattre. Pas toujours engagés, ils vivent plutôt ce combat comme un comportement à avoir au quotidien comme Anaïs, 19 ans qui  confie :

 » Je ne sais pas vraiment, si je suis une « vraie » féministe ou non, mais je sais que je veux militer pour les causes de la femme. Je trouve que la femme est belle, et qu’elle se doit d’être à un pied égal. Nous le valons vraiment. Pour moi le féminisme c’est se battre, pour être vue et traitée au même titre qu’un homme. Qu’on cesse ce sexualisme. Qu’on ne soit pas dégradée, car nous sommes femmes. Je pense qu’on a encore beaucoup de combats à mener. L’égalité au travail. L’égalité, tout simplement. »

Est-elle est prête à se battre au nom du féminisme ?  « Oui. , répond-t-elle, Clairement, j’y suis prête. Je ne suis pas ce genre de femme qui veut se cacher derrière son mari, en être dépendante. Je préfère affirmer mon sexe. Je suis femme ? Alors je ne mérite pas moins, tout simplement parce que j’ai un vagin. Je suis prête à militer, sans soucis. Je me battrai pour la cause des femmes, sans jamais tomber dans un extrême qui m’insupporte. »

Paul, 28 ans, lui, a du mal a trouver une définition du féminisme, pour lui cela sonne comme un extrême, mais si le féminisme prône l’égalité homme femme il n’est pas contre même si à ses yeux hommes et femmes ne sont pas pour autant interchangeables.

A l’opposé, pour Nawel, 43 ans, la définition du féminisme est claire, pour elle il est « la recherche de l’égalité politique, économique, culturelle, personnelle, sociale et juridique entre les femmes et les hommes »,

« Pour moi, le féminisme c’est tout ce qui contribue à tendre vers cette égalité, et les combats sont nombreux. Les femmes n’ont toujours pas les mêmes salaires que les hommes, on part souvent du principe qu’elles sont « moins » (moins qualifiées, moins diplômées….) Je serais prête à mener des actions, mais ça dépend lesquelles  »  dit-elle

Virnal Lisi, couverture du magazine Esquire, Mars 1965, Licence CC

Virnal Lisi, couverture du magazine Esquire, Mars 1965, Licence CC

Un féminisme de grande ampleur

Par ailleurs, le féminisme est de plus en plus présent dans les médias avec par exemple le magazine Causette, mais aussi sur le net avec les contre-féministes, mais aussi une certaine sensibilisation au-delà des préjugés avec en particulier la chaine Youtube « le Meufisme ». Une chaîne conçue pour aller à l’encontre des clichés, et d’une image des femmes véhiculée par les médias dans lesquels bon nombre ne se reconnaissent pas, mais aussi pour représenter les femmes sur le net autrement que des youtubeuses beautés ou des humoristes et en prime une réalisation soignée. Avec des vidéos conçues comme un éveil au féminisme, le Meufisme, suscite des « débats en commentaires où beaucoup ouvrent les yeux sur les inégalités persistantes qui sévissent encore dans nos sociétés contemporaines« . Et même si l’audience est à 70% féminine, Sophie constate sous certaines vidéos des pics à 40% de présence masculine. « Celles et parfois ceux qui se figuraient que le féminisme était un mouvement composé de misandres hystériques, réalisent qu’il n’en est rien et se révèlent pour la plupart féministe à leur tour.“

Toutefois, un paradoxe se fait sentir, même si le Meufisme n’est pas sponsorisé par des associations féministes, si elle est ravie de garder ainsi sa liberté de création, Sophie regrette tout de même que les associations féministes n’accordent pas de crédit à leur travail, et ce pour des raisons obscures.

Le Meufisme, Sophie Garric, Licence CC

Le Meufisme, Sophie Garric, Licence CC

Mais le féminisme n’est pas qu’une affaire de femme comme le souligne Sophie Garric, auteure et comédienne de la série, « à l’origine notre série s’adressait surtout aux mecs. Nous voulions leur démontrer qui nous étions vraiment. Rendre un peu plus fun l’image de la femmes à leur yeux, leur dire que nous étions plus complexes qu’une bombasse siliconées en couverture d’un magazine. Enfin, je pense que le féminisme est autant l’affaire des hommes, que de femmes, puisqu’il suggère qu’en rien notre sexe définirait identité. Si une meuf n’est pas forcément faite pour passer sa vie en cuisine, un mec n’est pas non plus forcément fait pour jouer les gros bras et gagner plein de pognon, par exemple. En faisant sauter les clichés genrés, c’est tous les individus que l’on libère.

Comme une autre chaine « Martin, sexe faible », ces vidéos font évoluer martin dans un monde où les rôles sont inversés et où ce sont les femmes qui ont le pouvoir. Le principe afficher une démocratisation du féminisme par le biais de l’humour, histoire de montrer que le féminisme n’est pas seulement une idée d’extrémisme, ni de femme mais aussi d’avertir sur certaines difficultés réelles que les femmes rencontrent au quotidien mais que les hommes, eux, ne rencontrent pas. Ainsi, au fil des ans les mouvements se sont multipliés : la barbe, les Femen, Osez le féminisme, les efFRONTé-e-s, qui parfois font des actions communes, qui relancent bien souvent le débat sur le féminisme, voire comme à l’instar des Femen, le créént.

Un mouvement qui fait débat : les Femen

Les Femen, n’ayant pas daigné répondre, le portrait du mouvement se dresse grâce aux informations précieuses, données par Héloïse Bouton ancienne Femen. Si elle ne regrette « ni d’avoir été membre de Femen, ni d’en être partie », elle condamne toutefois la paranoïa et l’incapacité des Femen de se remettre en question. « Alors que le mouvement prétend fonctionner de manière horizontale, il est en fait très hiérarchisé et autocratique. Je pense que la leader Inna Shevchenko est responsable de ne pas clarifier certains points et d’avoir instauré une communication opaque, tout comme les autres membres sont responsables de perpétuer ce fonctionnement sans jamais le remettre en cause. Enfin, je trouve que certaines actions manquent de nuance et sont trop binaires, ce qui dessert parfois le propos. »

Si pour nombre d’entre nous aujourd’hui, le nom femen ne va pas sans féminisme, le mouvement fondé à Kiev, en Ukraine, en 2008 par Anna Hutsol, Alexandra Shevchenko (aucun lien de parenté avec Inna Shevchencko) dites Sasha et Oksana Chatchko, signifie cuisse en latin. S’il a été choisi parce qu’il « sonnait bien », on peut y voir à tort ou à raison un rapport avec la cause auquel le mouvement s’opposait initialement : la prostitution qui fauchait les jeunes ukrainiennes.

Un concept, qui a su évolué et s’exporter parfois involontairement. Les Femen se sont illustrés pour une de leurs premières actions en France en octobre 2011 devant le domicile de Dominique Strauss-Kahn place des Vosges à Paris. Ce qui a tout de suite plus à Héloïse c’est « ce pop féminisme incarné par une jeune génération de femmes jetait les débats sur les droits des femmes dans la rue et remettait l’activisme à l’ordre du jour en France »

À ses yeux, les Femen, « provocantes, ironiques et modernes, incarnaient un néo-féminisme, à mi-chemin entre Marcel Duchamp et Lady Gaga, auxquels elles empruntaient l’outrance et l’irrévérence esthétique, et déconstruisaient tout, en jouant cependant avec des codes rebattus. »

Une organisation bien rodée

Un code où d’ailleurs, rien n’est laissé au hasard, cheveux blonds décolorés, couronnes de fleurs très hippie, le corps comme slogan et le poing levé. Cet intérêt pour l’image, transparait d’ailleurs dans les membres des Femen souvent réalisatrices, photographes, artistes, peintres, ou étudiantes en art ou encore journalistes comme Héloïse.

Une image qui reste la même actuellement, et, pour de nombreuses jeunes femmes comme Héloïse le contact se fait par e-mail ou par Facebook et les entrainements parfois durs s’enchainent « on apprenait à tomber, crier, se protéger pendant une action et on faisait toutes sortes d’exercices physiques. Ça n’a jamais trop été mon truc, alors j’ai vite arrêté d’y aller »

Les Ukrainiennes lui propose de faire une action à Londres pendant les JO avec d’autres Françaises. Si à l’époque, l’idée d’installer des Femen en France n’est pas d’actualité, Inna en devient contrainte d’y fuir la prison après avoir tronçonné une croix en Ukraine et les femen s’implante finalement à Paris, comme elle l’étaient déjà au Brésil, en Espagne, en Allemagne, en Tunisie et au Québec mais cette fois-ci avec l’aide d’Héloïse Bouton.

Trois cibles nettes se dessinent alors : la prostitution et l’exploitation sexuelle des femmes, les dictatures et les institutions religieuses. La branche parisienne devient le siège des Femen et n’a plus de compte à rendre à Kiev et se finance grâce aux dons mais surtout à la vente de leur produits sur leur site internet (parapluie, sacs, tee-shirt,…). Inna Shevchenko en prend la tête.

Joseph Paris, Manifestation de soutien des femen à Aliaa Magda Elmahdy , Mars 2012, Licence CC

Joseph Paris, Manifestation de soutien des femen à Aliaa Magda Elmahdy , Mars 2012, Licence CC

 

Le féminisme, un combat parfois collectif mais toujours personnel

« Les discussions de déroulaient au QG de Femen, donc généralement entre Inna et le « noyau dur » du groupe, c’est-à- dire les plus anciennes ou les plus impliquées, celles qui passaient le plus de temps au Lavoir Moderne. Il n’y avait pas de vote ou de système formel pour trancher mais de longues discussions afin que la majorité tombe d’accord. « 

Féministe avant les Femen, notamment avec l’association la barbe, bien sur pendant et toujours, pour Héloïse  » Le féminisme n’est pas une opinion ou une maladie qu’on attrape un temps et dont on se débarrasse plus tard, c’est une vision du monde et une manière d’aborder la vie en général. « 

En dépit des idéaux nobles et de l’esthétique indéniable de leurs actions, de nombreux procès ont étés intentés quasiment à chacune des actions des Femen. Héloïse, elle, est la première femme condamnée pour exhibition sexuelle suite à l’action menée à l’église de La Madeleine en décembre 2013 en soutien à l’IVG. Son procès en première instance a déjà mobilisé de nombreuses féministes au delà des Femen qui l’ont soutenue, en attendant son procès en appel en décembre prochain.

Aujourd’hui, elle soutient de nombreuses associations et initiatives féministes avec lesquelles elle collabore ponctuellement, mais n’adhère à aucun mouvement. Héloïse milite en son propre nom.

« Je pense qu’il y a encore beaucoup de progrès à faire : sur les violences faites aux femmes (du viol, au harcèlement, en passant par les insultes et les menaces sur Internet),  la parité, les inégalités salariales, la PMA, les sexualités et la reproduction, les injonctions à être belle-mince-jeune-imberbe-sexuellement-débridée-mais-pas-trop-non-plus-sinon-on-est-une-salope, cette culture du viol insidieuse et omniprésente qui s’insinue dans l’éducation, la publicité, la mode… Je pense qu’il est possible de corriger toutes ces inégalités, il faut juste en avoir la volonté et prendre le temps de faire de la pédagogie intelligente pour changer les mentalités. Le problème est que nos décideurs sont souvent ceux qui auraient besoin de quelques éclairages sur le sujet… »

Joseph, Paris 2012, Manifestation de Femen, Licence CC

Joseph, Paris 2012, Manifestation de Femen, Licence CC

En fin de compte, et contrairement aux idées reçues, le féminisme n’est pas une opposition des femmes et des hommes, mais plutôt une lutte pur atteindre une équité et nous sortir de l’aliénation des sexes guidés par nos sociétés. Toutefois, le chemin à parcourir reste long et les grandes avancées concernant ne sont jamais acquises qu’au fil d’une lutte sans relâche, qui dans d’autres pays ne fait que commencer.

Romane Deyrat